Selon l’ONU, les pesticides ne sont pas indispensables
On n’arrivera pas à nourrir 9 milliards de personnes sans utiliser massivement les pesticides ? Ce discours est battu en brèche à l’ONU. Et par la recherche agricole.

Non, l’agriculture industrielle intensive, fortement tributaire des apports en pesticides, n’est pas « indispensable pour accroître les rendements et nourrir une population mondiale en augmentation ». Telle est la prise de position de Hilal Elver, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à l’alimentation, qui a remis ce mercredi à l’ONU un rapport contestant les affirmations des industriels et de certains secteurs agricoles sur cette question.

Certes, reconnaît la rapporteuse, l’utilisation de pesticide a permis à la production agricole « de faire face à des hausses sans précédent de la demande alimentaire ». Mais la faim dans le monde est loin d’avoir disparu. Et l’utilisation souvent massive des produits chimiques dans l’agriculture n’a pas eu que des bons côtés : « La santé humaine et l’environnement en ont pâti ». Les pesticides, rappelle-t-elle, sont, d’après les estimations, à l’origine de 200.000 décès par intoxication aiguë chaque année au total, dont 99 % surviennent dans les pays en développement. Aujourd’hui, tranche-t-elle, la question des pesticides est aussi une question de droits de l’homme.

Mais bien que les impacts néfastes sur la santé humaine et sur l’environnement soient abondamment documentés, il est difficile de prouver un lien incontestable avec les pesticides. Ça l’est d’autant plus, estime la rapporteuse, « que l’ampleur des dommages causés par ces produits chimiques est systématiquement contestée, ce à quoi concourent l’industrie des pesticides et l’industrie agroalimentaire, et les pratiques commerciales agressives et contraires à l’éthique ne rencontrent toujours pas d’opposition ».

La rapporteuse, qui appelle la communauté internationale à « élaborer un traité global et contraignant visant à réglementer les pesticides dangereux tout au long de leur cycle de vie », estime également que les producteurs devraient être tenus responsables de leurs produits « même après la vente de ceux-ci ».

Moins de pesticides pour le même rendement ?

Même dans les centres de recherches naguère plutôt « ouverts » à la question des pesticides, des questions commencent à se poser. Deux chercheurs français de l’Inra (Institut de la recherche agronomique) ont étudié 946 exploitations de grandes cultures conventionnelles en France et ont comparé les rendements et l’utilisation d’intrants chimiques. Leurs conclusions sont parues dans la revue Nature Plants  : ils n’ont détecté de lien positif entre utilisation intense des pesticides et rendements agricole que dans 6 % des cas. « Il serait possible de diminuer la fréquence de traitements phytosanitaires en maintenant une productivité équivalente ou meilleure dans 94 % des situations, et en maintenant une rentabilité équivalente ou meilleure dans 78 % des situations », résume l’étude.

« Une réduction des intrants agricoles chimiques de 30 % est possible, sans effets négatifs en France », commente dans le Monde un des auteurs de l’étude. Reste que cette réduction de l’usage des pesticides sans perte de performances, si elle est possible du point de vue technique et économique, devrait être accompagnée « d’adaptations conséquentes des systèmes de culture »  : diversifier les cultures et les variétés, désherber mécaniquement, introduire des cultures rustiques, combiner l’élevage et les cultures… Autant de changements qu’il n’est pas toujours facile de susciter. Mais les constats et les mentalités semblent évoluer.

Par Michel De Muelenaere (08/03/2017)
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