Sans-abri. Bienvenue chez Marcelle !
Depuis plus de quarante ans, cette Lannionaise héberge marginaux, routards et autres démunis sous son toit. Ne comptant que sur elle-même, Marcelle Joubert, 83 printemps, se lève tous les matins à 5 h pour faire tourner la baraque. Rien ne semble pouvoir l'arrêter.

Elle ouvre sa porte du 28 rue de Tréguier, à Lannion, avec un large sourire. Nous n'avons pas rendez-vous mais Marcelle Joubert attend toujours quelqu'un. Depuis 40 ans qu'elle accueille des gens meurtris par la vie, la petite dame fluette ne pose plus de questions au visiteur qui sonne chez elle. Elle invite à la suivre à l'intérieur d'une maison qui sent l'encaustique. On la dirait montée sur ressorts, se baissant pour ramasser un mégot dans le couloir. « Ils font des cochonneries et moi, je ramasse sans rien dire. Je suis la boniche », sourit la vieille dame. Ils, ce sont les personnes qui ont trouvé chez elle, le gîte et le couvert. Routards, marginaux, accidentés de la vie...

Carmencita

Elle houspille l'un d'eux, la trentaine, trop alcoolisé à son goût : « Dégage, je ne veux pas te voir tant que tu es dans cet état ! ». « Que des gars de 40 ans obéissent à une vieille femme, c'est fort », commente-t-elle avec une pointe de fierté dans la voix. « Mon mari m'appelait Carmencita car je suis capable de crier très fort ». Puis, un ton en dessous, elle se félicite lorsqu'un autre lui ramène des clés égarées. « Lui, il m'a fait pis que pendre. Alors, qu'il me ramène ces clés est une grande victoire ». Tisser du lien : c'est le maître mot de cet ancien professeur. « Les services sociaux peuvent offrir un hébergement mais ça s'arrête là, constate Marcelle. Moi, je m'efforce d'apprendre le respect à ces gens rejetés depuis toujours par la société, par leurs parents... ». Elle se réjouit de les voir passer des moments ensemble. « Parler entre eux, c'est mieux qu'un psychiatre ».

Vie de famille

Si certains ne font que passer, d'autres logent ici depuis vingt-cinq ans. « Ils recréent une vie de famille, ils ne peuvent pas tenir debout tout seuls », explique l'hôtesse, qui dort sur le canapé du salon, au rez-de-chaussée. La violence entre les colocataires et la dégradation de matériel existent mais c'est une donnée que Marcelle a intégrée. « Mes enfants étaient peinés quand ils ont débarrassé le deuxième étage de la maison, il y a quelque temps. Beaucoup de choses étaient cassées, notamment des portes... Mais un homme vaut plus cher qu'une porte d'armoire », assène-t-elle avec philosophie. À 83 ans, la Trégorroise n'héberge « plus » que « six pensionnaires contre 60 autrefois ». Les aides au logement de la CAF couvrent, en partie, les 120 EUR de loyer mensuel. Mais les paiements sont aléatoires et Marcelle, fille de bourgeois « qui avaient du bien », puise aussi dans ses deniers personnels pour nourrir et loger tout ce petit monde. « La mairie n'a jamais vu ça d'un bon oeil. Elle n'en voyait pas l'utilité, explique Marcelle. On m'a fermé quatre maisons mais je continuerai, j'ai de l'énergie ». L'octogénaire grogne, tape du poing en retraçant toutes les difficultés traversées. Sa technique de combat face aux institutions : faire le gros dos et attendre que l'orage passe comme le lui a enseigné son mari, aujourd'hui disparu. En réponse aux interrogations sur d'éventuels problèmes de sécurité, la vieille dame s'agace et fustige « cette société qui en voulant ouvrir le parapluie pour tout, fout la pagaille pendant que des milliards de personnes meurent ».

Entre popotte et ménage

L'adresse de Marcelle ne figure dans aucun guide officiel. Mais les pensionnaires arrivent sur les conseils d'institutions trop débordées pour faire face à toutes les demandes d'hébergement d'urgence. Le bouche-à-oreille en amène aussi. Debout à 5 h tous les matins pour préparer le petit-déjeuner, puis le déjeuner, faire le ménage et la lessive, Marcelle continue son chemin. Son ami Jean Le Davay aide les locataires dans leurs démarches administratives. Se montrant lyrique, il conclut : « Marcelle, c'est comme ce colibri qui tente d'éteindre un feu de forêt en apportant de l'eau dans son bec. Même si ça peut paraître insuffisant, il fait sa part ».

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