Pour redynamiser certains quartiers, Roubaix vend des maisons à 1 euro
Place Carnot, à Roubaix. D’imposants et bruyants aspirateurs urbains verts débarrassent les caniveaux des feuilles que l’automne détache des arbres qui entourent l’agora. A l’angle de la rue Delezenne et de la rue du Pile qui a donné son nom au quartier historique de l’ancienne cité textile, une bande de jeunes palabre et semble intriguer les passants. Pas la patrouille de police municipale qui continue son chemin sans adresser un mot au quintette. « Ce sont des dealers, commente Henri, le pharmacien du quartier, installé depuis 20 ans. Il y a cinquante ans, le grand banditisme avait la main sur le Pile et y faisait la loi. L’ordre régnait à cause de la peur générée par ces bandes. Maintenant, c’est plus difficile à gérer. Pourtant, j’ai l’impression qu’il ne faudrait pas grand-chose pour rendre le quartier agréable. »

Et Henri se dit que l’initiative lancée par la Ville peut être le déclencheur du renouveau de son quartier. La mairie vient d’annoncer le lancement en 2018 d’un dispositif de vente de maisons à un euro contre réhabilitation, avec un premier panel de 18 biens.

Un projet sur lequel elle œuvre depuis plus de deux ans. Objectif : lutter contre les logements fantômes et la mort lente de certains quartiers.

« L’expérimentation de la maison à un euro avec travaux vise à répondre à des problématiques simples : revaloriser ces rues où des maisons restent vacantes, voire murées et dégradent le cadre de vie de tous, donner l’opportunité à des primo-acquérants d’accéder à la propriété, libérer la collectivité de biens qui n’ont pas de projets affectés. Si ce test s’avère positif, de nombreuses autres communes pourraient vouloir s’en in
spirer », explique la mairie.

Rénover au lieu de raser

Maire de Roubaix mais aussi vice-président à la Région Hauts-de-France en charge de la rénovation urbaine et du logement, Guillaume Delbar estime que « ce projet est intéressant à plusieurs titres car il nous pousse à imaginer un nouveau modèle de valorisation du patrimoine, là où on aurait tout simplement rasé certaines maisons pour reconstruire du neuf. On se laisse l’opportunité de conserver et de rénover avec un objectif d’accession sociale à la propriété. »

A l’image de ceux de l’Hommelet ou de l’Alma, le quartier du Pile est donc concerné par l’opération. Et pour cause. Rue Desaix ou rue du Pile, notamment, règne une ambiance de ville fantôme. Au milieu des façades rouges ou grises, les fenêtres sont murées, voire recouvertes d’imposants grillages rouillés. Par endroits, des arbustes jaillissent des joints en béton. Au grand dam des habitants restés dans leur fief.

« Avant, ici, c’était un quartier vivant 24 heures sur 24, regrette Solférino, habitant du Pile depuis 45 ans. Il y avait la Lainière et Saint-Gobain qui procuraient du travail. Il y avait plein de maisons mais elles ont été rasées pour faire place à des terrains vagues occupés par les dealers. »
« Même à si elles sont vendues à un euro, qui va venir acheter une maison ici ?, s’interroge Dominique. Le quartier a trop mauvaise réputation. Les gens vont avoir peur des dealers et des squatters. Ils ont déjà essayé en douce il y a quelques années mais ils ont finalement rasé les maisons vu le peu d’intérêt. Pourtant, je trouve que l’idée est bonne. Ça pourrait redynamiser la zone et la rendre plus propre. Mais il faut que les gens aient l’envie et les moyens d’investir plusieurs dizaines de milliers d’euros dans des taudis. »

Modèle de Liverpool

Pour son expérience, unique en France, la ville de Roubaix s’est inspirée du modèle de Liverpool (lire ci-dessous). « Certains élus et le maire sont allés sur place pour voir comment ils avaient procédé et voir les résultats, explique Cédric Girard, responsable de la communication de la mairie. Pour cette phase d’expérimentation, presque tous les quartiers sont concernés par au moins une maison à un euro avec travaux en test. Dans un premier temps, 18 maisons sont incluses dans la phase d’expérimentation. A l’issue, cela devra permettre de valider le dispositif pour savoir si celui-ci doit ou non être étendu. Si elle est concluante, l’expérience pourrait même être développée soit à l’échelle de la Métropole, soit à l’échelle de la Région des Hauts de France, qui sont partenaires. »

Redorer l’image du quartier, les riverains ne sont pas contre. A l’image d’Henri, le pharmacien. « Ça a fonctionné à Liverpool, pourquoi pas chez nous ?, demande-t-il. Accéder à la propriété responsabilise les gens qui prennent alors soin de leur bien. Ce qu’ils ne font pas forcément quand ils sont locataires. Souvent, ils n’entretiennent pas la maison qui se dégrade très vite. »

Malgré la réputation des quartiers concernés, dès le top départ, la Fabrique des quartiers, l’opérateur public qui porte le projet, s’attend à crouler sous les demandes. Des critères d’éligibilité très stricts pour bénéficier de l’offre ont donc été posés. Le premier : il faut être primo-acquérant puisque l’idée est de favoriser l’accès à la propriété. Selon la Ville, personne ne sera exclu mais les critères choisis permettront d’accorder plus ou moins de points aux candidats selon leur situation. Davantage de points seront distribués si le candidat habite ou travaille à Roubaix plutôt que dans une autre commune de la métropole lilloise. Chaque candidat postulera sur une maison précise et devra s’engager sur un budget de réhabilitation. Il lui faudra prouver qu’il a la capacité financière pour acheter ou emprunter, mais aussi pour entretenir la maison. Une fois la maison attribuée, son acquéreur aura douze mois pour effectuer les travaux, pendant lesquels il ne sera pas encore propriétaire. La vente ne sera signée qu’après rénovation et présentation des factures. « Enfin, ponctue Cédric Girard, pour éviter la spéculation, il y a une obligation à habiter six ans dans le bien en résidence principale. Un principe de reversement d’une quote-part de la plus-value à la collectivité est prévu en cas de revente du bien. »

Certains voisins des maisons concernées ont d’ores et déjà émis des craintes quant à la perte possible de valeur de leur bien. Une crainte justifiée ? Pas pour Cédric Girard. « La maison sera donc au prix de 1 euro mais avec parfois plus de 100.000 euros de travaux à réaliser. Pour les voisins, la valorisation est plus intéressante avec une maison refaite à neuf à côté qu’avec une maison abandonnée, voire murée. » Les aspirateurs sont partis et la place Carnot est désormais nettoyée. Mais toujours pas de ses dealers…

Et ailleurs?

Un succès à Liverpool

En 2002, le gouvernement travailliste britannique avait fait le constat d’un excès de logements dans de nombreuses villes du nord de l’Angleterre. Le Housing Market Renewal Initiative (HMRN), un programme national de 2,6 milliards d’euros, avait été mis en place pour aider les mairies à acheter ces maisons vides pour les détruire. A Liverpool, 5.000 maisons ont ainsi été acquises par les autorités. Près de 80 % d’entre elles ont été démolies. En 2010, le HMRN et ses démolitions ont pris fin. La Ville se trouvait toujours en possession d’un millier de maisons vacantes. Elle a donc lancé en avril 2013 le programme « Houses for one pound », la maison à une livre. Une partie de ces maisons inoccupées a été cédée à ce prix symbolique, à charge pour les acquéreurs de les rénover. L’objectif était de permettre à des habitants aux revenus modestes de devenir propriétaires tout en favorisant la requalification de ces quartiers. Les 22 maisons cédées en 2013 ont toutes trouvé preneur et la mairie a lancé une deuxième vague en avril 2015 en proposant 120 maisons à la vente. Au total, 2.500 acheteurs se sont portés candidats.

Charleroi ne rejette pas l’idée mais n’y travaille pas encore
Des projets de maisons à un euro pourraient-ils voir le jour en Belgique ? Pour l’instant, rien n’existe concrètement. Plusieurs éléments s’y opposeraient. La pression démographique rendrait ce type de projet très difficile à mettre en place. Pourtant, Charleroi, avec son passé industriel proche de celui de Liverpool ou de Roubaix, est parfois citée comme candidate potentielle pour des maisons à un euro. Qu’en est-il ? Il existerait 2.000 logements vides à Charleroi. Des projets de ce genre pourraient dès lors être imaginés.

L’an dernier, la Ville a lancé son concept d’ADLU, une Agence de développement local urbain, chargée d’œuvrer à la requalification de quartiers. Sa mission principale sera donc d’améliorer le cadre de vie urbain et de développer des espaces en y associant une démarche de type « promotion foncière et immobilière ». « L’agence devrait être mise sur pied dans le courant du premier semestre 2018, explique Fanny Van Leliendael, porte-parole du collège communal. Pour rénover les quartiers identifiés, l’agence développera un plan de bataille. Pour faciliter les choses, Charleroi est désormais divisée en cinq districts. Le Sud comprend, par exemple, Couillet, Marcinelle et Marchienne-au-Pont. »

Des maisons à un euro pourraient-elles s’intégrer dans ce concept ? Pourquoi pas, selon Fanny Van Leliendael. « Il n’y a rien de concret qui va dans ce sens mais ce n’est pas exclu, dit-elle. Il faudrait pour cela que ça s’intègre avec notre réflexion qui est de requalifier des quartiers et de recréer un maillage social. Nos quartiers rénovés devront comprendre du logement, du commerce et tout ce qui fait la vie d’un quartier. »
A Bruxelles, la haute valeur foncière, l’absence de quartiers fantômes et le manque de logements disponibles rendraient toute opération de ce type impossible.

Par Frederic Delepierre

A lire sur lesoir.be (14/10/2017)