Patrice Lumumba : à Bruxelles, une place contre l’oubli
Réclamé depuis des années par les communautés congolaise et africaine, le conseil communal de la Ville de Bruxelles a approuvé le 23 avril, à l’unanimité, la décision d’un espace public Patrice-Lumumba. Une statue à la mémoire de l’ancien Premier ministre du Congo sera édifiée square du Bastion, aux portes du quartier Matonge, le quartier de la communauté congolaise de la capitale. Démocratiquement élu au moment de l’indépendance, celui-ci avait défié les autorités belges dans un discours anticolonialiste devenu célèbre en 1960, avant d’être assassiné six mois plus tard, le 17 janvier 1961, avec la complicité de responsables belges.

Quelques minutes avant ce vote historique, Zoubida Jellab, conseillère communale pour le groupe Ecolo-Groen, se lance dans un discours juste et nécessaire : « C’est un acte historique que nous allons poser aujourd’hui ensemble en baptisant un espace public dédié à la mémoire de Patrice Emery Lumumba, héros national du Congo et donc une référence à notre histoire commune. Nos pensées vont d’abord à lui, assassiné dans d’horribles conditions, à sa famille, ses proches, le peuple congolais, les afro-descendants et tous les peuples colonisés et opprimés. » Mais, ce geste de reconnaissance tardive ne suffit pas. Elle poursuit : « Nous saluons le projet d’une statue ou pourquoi pas un portail mémoriel mais il faudra également (…) une plaque commémorative en mémoire de toutes les victimes de nos exactions et crimes au Burundi, Rwanda et évidemment Congo. » Le sénateur et vice-président du Parlement bruxellois Bertin Mampaka reconnaît qu’« on ne peut effacer la colonisation belge du Congo d’un trait de crayon ou d’une volonté journalistique, il faut que nos enfants, que les Belges connaissent leur histoire. Lumumba fait partie de cette grande histoire ».

Pour Bertin Mampaka, qui avait insisté oralement devant le conseil pour que le vote aille dans ce sens, l’approbation à l’unanimité est « un grand soulagement ». Zoubida Jellab nous confie : « C’est probablement le plus beau moment de ma carrière de conseillère communale. Un grand moment d’émotion partagé avec l’ensemble du conseil communal, conscient du désarroi et du désespoir de la communauté africaine. C’était un devoir d’y répondre et c’est une responsabilité universelle. » Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. En 2013, un vote du conseil communal (majorité libéraux/PS) d’Ixelles (une des 19 communes de Bruxelles, où se situe le quartier Matongé) avait rejeté la requête, prétextant que Lumumba n’était pas un personnage assez fédérateur. Cette fois c’est la commune de Bruxelles-centre qui a pris les choses en main et a voté à l’unanimité, quelque peu poussée par les nombreuses mobilisations pour cet acte de reconnaissance.

Reconnaître les crimes coloniaux et le tort fait aux populations est un pas démocratique essentiel et une marque de respect vis-à-vis des peuples colonisés. En 2008, le CADTM prenait part au collectif Mémoires coloniales, constitué à l’occasion du centenaire de la reprise par la Belgique du Congo de Léopold II, pour réclamer des excuses et des réparations de l’État belge au peuple congolais. Ces réparations devront tenir compte des souffrances physiques des Congolais pendant l’ère coloniale (sous le règne de Léopold II et l’administration coloniale de l’État belge jusqu’en 1960) et de la fortune accumulée par la famille royale et l’État belge du fait de l’exploitation forcée des populations et des ressources naturelles du Congo.

Par Jerome Duval et Robin Delobel

A lire sur cadtm.org (09/05/2018)