Nalleli Cobo, l'ado qui fit plier une compagnie pétrolière
C'est en 2010, à l'âge de 9 ans, que Nalleli Cobo a commencé à souffrir de saignements de nez, de maux de tête et d'asthme. Membre de la communauté latino du centre-sud de Los Angeles, la jeune fille vivait avec sept membres de sa famille dans un petit appartement. «J'étais incapable de marcher, il fallait que ma mère me porte», explique à la BBC celle qui est rapidement devenue activiste. «Mes saignements de nez étaient si abondants que, la nuit, je devais dormir assise pour ne pas m'étrangler avec mon sang».

Nalleli Cobo a vite réalisé qu'un tueur silencieux s'en prenait à sa famille, mais que personne n'en parlait. Autour d'elle, ses proches étaient également atteint·es d'affections diverses: asthme, fibromes... En prenant un peu de recul, elle a fini par se rendre compte que des problèmes similaires touchaient également des membres de son voisinage. Et qu'ils étaient certainement liés au site d'exploitation de puits de pétrole situé en face de leur domicile.

Depuis bien longtemps, un odeur persistante d'œuf pourri s'était installée dans le quartier, envahissant les logements pour ne plus jamais les quitter. Les ventilateurs et les purificateurs d'air n'y pouvaient rien. Parfois, une odeur de goyave ou de chocolat, clairement artificielle, s'infiltrait comme pour masquer les autres odeurs.

Bien décidée à ne pas laisser les catastrophes s'accumuler plus longtemps, Nalleli Cobo a décidé de prendre les choses en main. Elle a formé autour d'elle un groupe d'apprenti·es activistes pour commencer à déterminer si une fuite dans le bâtiment de la société d'extraction pouvait être à l'origine des importants problèmes constatés. Mis en contact avec des toxicologues, ce collectif a alors acquis la certitude que les produits utilisés pour l'extraction du pétrole, dont les émissions à long terme peuvent nuire à la santé humaine, étaient responsables de bien des maux.

Nalleli Cobo et ses camarades ont alors lancé une campagne intitulée «People, not pozos», ce qui signifie «Des gens, pas des puits» (le mot «pozos» désignant les puits de pétrole en espagnol). Des plaintes ont été déposées auprès du comité responsable de la qualité de l'air dans le district, et des appels à témoins ont été lancés pour rassembler davantage de victimes, et ainsi préparer au mieux une audience demandée à la mairie.

Leurs actions ayant été mises en lumière par le Los Angeles Times, les membres du collectif ont alors été contactés par Barbara Boxer, ancienne sénatrice de Californie, qui a pris l'initiative de dépêcher une équipe d'enquête de l'Agence de protection de l'environnement afin de réaliser des contrôles. Au bout de quelques minutes passées sur place, certains membres du groupe d'enquête ont dû rebrousser chemin, commençant à se sentir mal à cause des odeurs bien trop fortes.

Des victoires progressives

Tout cela a pris du temps. Beaucoup de temps. Les démarches ont démarré en 2010, mais ce n'est qu'en 2013, que le groupe AllenCo, qui s'occupe de l'extraction du pétrole dans cette zone de Los Angeles, a accepté de fermer temporairement son site en raison des résultats accablants des enquêtes locales et fédérales. En 2016, la ville de Los Angeles a poursuivi AllenCo en justice, l'obligeant à respecter à la lettre les réglementations en vigueur, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici.

Mais Nalleli Cobo, aujourd'hui âgée de 19 ans, ne souhaite pas se contenter de cela. Encore récemment, elle militait activement pour que l'entreprise ferme définitivement son site, et sans doute d'autres. «À Los Angeles, il y a 580.000 personnes qui vivent à moins de 500 mètres d'un puits de pétrole ou de gaz en activité», souligne la jeune activiste, qui précise que cette population est majoritairement constituée de personnes pauvres et racisées.

Un cancer lui ayant été diagnostiqué début 2020, Nalleli Cobo a quitté la zone pour raisons de santé. Elle a notamment dû subir une hystérectomie, à l'âge de 19 ans. Bien que son état de santé l'ait contrainte à lever le pied en termes d'activisme, elle a continué à militer pour que les sites incriminés ferment définitivement, ainsi que pour la mise en place d'une zone tampon de santé et de sécurité d'au moins 762 mètres entres les puits de pétrole et certains lieux publics (écoles, parcs, hôpitaux).

En janvier 2021, la jeune femme a été déclarée guérie. Aujourd'hui, elle souhaite devenir avocate en droits civils et se lancer dans une carrière politique afin de défendre toutes les populations d'un capitalisme qui menace leurs existences.

Par Thomas Messias (publié le 06/03/2021)
A lire sur le site Slate