Licencié pour ne pas être assez «fun» : un employé obtient gain de cause devant la justice... et 500.000 euros d’indemnisation
La Cour d'appel de Paris a ordonné cette semaine le versement d'une indemnité d'un montant de 496.298 euros à un employé d'une entreprise de conseil licencié en 2014 pour «insuffisance professionnelle». Avocat et patron reviennent sur l’affaire, sans en partager la même vision.

C'est l'aboutissement de plusieurs années de procédures prud’homales qui a eu lieu ce mardi 30 janvier 2024. Monsieur L. avait intégré le cabinet de conseil Cubik Partners à Paris en 2011 en tant que consultant senior. Dès 2014, le salarié avait été promu au rang de directeur avant d'être remercié un an plus tard pour «insuffisance professionnelle» et «refus d'adhérer à la valeur fun et pro de l'entreprise». Il attaque alors son employeur aux Prud'hommes pour contester son licenciement et demander sa nullité, sans succès. L'affaire est ensuite renvoyée devant la cour d'appel de Paris avant que les deux parties ne se pourvoient en cassation.

Le 9 novembre 2022, les magistrats de la Cour de cassation ordonnent l'annulation du licenciement arguant que «la culture «fun et pro» en vigueur dans l'entreprise était caractérisée par des pratiques humiliantes et intrusives dans la vie privée telles que des simulacres d'actes sexuels, l'obligation de partager son lit avec un autre collaborateur lors des séminaires, l'usage de sobriquets pour désigner les personnes et l'affichage dans les bureaux de photos déformées et maquillées». Ils soulignent la «violation du droit fondamental du salarié à la dignité et au respect de sa vie privée».

496.298 euros d’indemnisation

Monsieur L. et son avocat se présentaient donc à la Cour d'appel de Paris mardi pour obtenir une réintégration à l'entreprise et le versement d'une indemnité financière. C'est désormais chose faite puisque les juges ont rendu un arrêt qui oblige ses employeurs à lui verser une compensation financière. Celle-ci s’élève à 496.298 euros. «L'indemnité allouée, comme c'est un régime d'indemnisation en cas de violation d'une liberté fondamentale, est une indemnité d'éviction pour le salarié c'est-à-dire qu'elle correspond au montant qu'il aurait dû percevoir durant la période non-travaillée», détaille l’avocat.

La Cour a également ordonné la réintégration de Monsieur L. dans l'entreprise spécialisée en conseil. Une demande formulée expressément par le plaignant «elle en va de l'honneur de mon client. C'est une question de principe et cet arrêt permet de le rétablir» assure son avocat. Quant à savoir si l'ancien employé reprendra effectivement ses fonctions au sein du cabinet, rien n'est sûr pour le moment. Pour l'avocat de la défense, «soit l'entreprise accepte les termes de l'arrêt et respecte les dispositions de la décision, soit la société fait obstacle en se pourvoyant en cassation». Olivier Bongrand se veut optimiste «rien n'empêche qu'on se parle et qu'on échange pour que cela se passe bien pour les deux».

Une «série d'amalgames» selon l'entreprise

Olivier Cornut, président de Cubik ne partage pas cette vision, dénonçant «une lecture récréative du dossier grâce à une série d’amalgames». «Plus personne ne voulait travailler avec lui, que ce soit les clients qui nous demandaient d’arrêter de travailler avec lui ou les collaborateurs qui refusaient de faire partie de son équipe. C'est un fait qui a été jugé et confirmé en appel par toutes les cours», confie le président de l’entreprise, dénonçant au passage des «propos aguicheurs et jamais corroborés» concernant l'ambiance potache qui règne dans l'entreprise.

Pour lui, le montant à six chiffres de l'indemnité joue en la défaveur de son entreprise. «La justice a été amenée à se prononcer tardivement car l'avocat a usé de toutes les procédures possibles. Presque dix ans ont passé. Toutes ses manœuvres amènent donc à un montant aussi impressionnant». Pour autant, il respecte le verdict des juges «Je me plie à la justice. S'il se présente pour venir travailler, je lui adresserai tout mon respect comme je le fais avec mes employés». Reste à voir si Monsieur L. en a envie. L'affaire connaîtra-t-elle un ultime rebondissement ? Cubik a deux mois pour se pourvoir en cassation après la décision de la Cour d'appel de Paris, son président assure qu'aucune décision n'est actée mais dit «regarder de près ce recours».

Par Théo Dausce (publié le 02/02/2024)
A lire sur le site Le Figaro