Les villes slovènes championnes du zéro déchet
Les villes slovènes de Bled et Gorje ont mis en place une politique volontariste de tri des déchets. Un engagement institutionnel qui place ces stations touristiques à l’avant-garde européenne du zéro déchet.

« Quand des poubelles ne sont pas correctement triées, je m’énerve et on retrouve le coupable. Je l’appelle ou je le convoque à mon bureau », raconte Janez Resman. Le directeur de l’entreprise publique de gestion des infrastructures et de collecte des déchets des villes de Bled et Gorje, en Slovénie, prend son rôle très à cœur.

Il sort de son placard un gros dossier rempli de « preuves » laissées par les fautifs : des factures de téléphone, d’électricité ou d’autres papiers portant leur nom. « Les éboueurs sont aussi des inspecteurs et ils retrouvent presque tout le temps des données personnelles des mauvais trieurs », poursuit-il. Après quelques avertissements, les particuliers peuvent recevoir une amende de 400 € (1 400 € pour les entreprises).

Avec sa politique, les deux municipalités voisines sont parvenues à un taux de tri estimé entre 75 et 80 %, pour environ 11 000 habitants. Entre 2008 et 2021, la quantité de déchets résiduels [1] annuels est passée de 3 à 1,3 t, tandis que la quantité de déchets totale est restée stable, malgré l’augmentation de la population. Grâce à ces résultats, Bled et Gorje furent les deux premières villes en Europe à décrocher la certification Zero Waste City, en avril 2022. Elles ont obtenu deux étoiles sur les cinq possibles.

    « Ça nous motive à faire plus »

« Ça nous motive à faire plus et à poursuivre nos politiques », dit Jožica Peljhan, associée de l’entreprise publique de collecte des déchets (Infrastruktura) et à l’initiative de l’engagement zéro déchet. Jaka Kranjc, secrétaire général de l’association Ekologi brez meja (Ecologie sans frontières), opine. L’ONG est partenaire du réseau Zero Waste Europe, qui distribue les certifications Zero Waste City (via un audit indépendant), et accompagne les municipalités en Slovénie dans ce parcours.

« On pourrait croire que deux étoiles sur cinq ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas vrai. C’est une certification très stricte car nous en avons assez du greenwashing et des labels qui ne sont pas fondés sur de vraies réussites », insiste Jaka Kranjc. Depuis Bled et Gorje, trois autres villes slovènes ont obtenu le label Zero Waste City : Vrhnika, Log-Dragomer and Borovnica. Elles ont décroché trois étoiles. Un nouveau succès qui confirme l’engagement du petit pays en faveur de la réduction et du recyclage des déchets.

La Slovénie figure généralement à la troisième place des classements européens en la matière, derrière l’Allemagne et l’Autriche. Comment expliquer que cette ancienne république socialiste yougoslave, intégrée à l’Union européenne en 2004, soit devenue un tel modèle ?

Jaka Kranjc avance plusieurs explications. La Slovénie a mis en place une série de politiques ambitieuses, poussées par son intégration à l’Union européenne. Plusieurs de ses décharges ont dû fermer, par exemple. En 2011, le pays a imposé la collecte distincte des matières organiques, qui ont cessé d’être mélangés aux déchets résiduels. Jaka Kranjc explique également qu’un projet d’ouverture de vingt centres de traitement des déchets a capoté, en raison de délai de construction et de surcoûts importants pour les premiers.

« Résultat : la Slovénie s’est retrouvée avec une capacité de traitement des déchets résiduels limitée et aucun financement pour cela. Cela a poussé à se concentrer sur l’optimisation et la sensibilisation à la réduction des ordures », raconte le secrétaire général d’Écologie sans frontières. Enfin, plusieurs municipalités se sont fortement engagées en la matière, donnant l’exemple. La capitale Ljubljana, notamment, fait partie des premières à avoir rejoint le réseau d’Écologie sans frontières. Au total, seize municipalités se sont lancées dans cette stratégie zéro déchet, leurs populations couvrant un quart de la population slovène.

    « Les gens sont suffisamment matures pour comprendre qu’il ne faut pas jeter ses déchets n’importe où »

Bled et Gorje ont également fait partie des premiers du réseau, en 2014. L’aspect répressif, évoqué précédemment, n’est qu’une petite composante de leur politique zéro déchet. Elles ont notamment mis en place le système nommé « paie autant que tu jettes ». Tous les ménages paient pour une collecte mensuelle des déchets résiduels. La seconde, sur demande, entraîne un surcoût.

Le tri est très complet : au total, il y a trente-deux catégories. Plastique, papier, déchets biodégradables du jardin, de la cuisine, verre, jusqu’aux encombrants. « Ce n’est pas compliqué, les gens sont suffisamment matures pour comprendre qu’il ne faut pas jeter ses déchets n’importe où », estime Ela, habitante de Bled âgée de vingt ans.

Pour elle, comme pour Martina, soixante-cinq ans, c’est « très important » de trier correctement, même si cette autre habitante avoue avoir reçu une amende, une fois, sans rancune. L’entreprise publique Infrastruktura a su convaincre largement en multipliant les ateliers et les formations auprès des commerces et des écoles, par exemple.

Ainsi, en découvrant le concept de zéro déchet en 2017, Katarina Strgar et son mari ont décidé de transformer leur hôtel, Ribno, et leurs logements « glamping » [2], situés à quelques minutes en voiture du centre de Bled. Ils sont ainsi devenus le premier complexe certifié zéro déchet en Slovénie.

Car comme le dit Janez Resman, « le plus gros problème à Bled ce sont les touristes ». Grâce à son magnifique lac glaciaire et à son île, la bourgade attire en moyenne un million de visiteurs par an, avec un gros pic l’été. Or beaucoup viennent à la journée et leurs comportements sont difficiles à influencer. Ils sont à l’origine de la majorité des déchets non triés.

Des consignes en trois langues

« On a mis des étiquettes sur les poubelles en trois langues, slovène, anglais et allemand. On a également enlevé une grande partie des poubelles publiques pour que les gens rapportent leurs déchets chez eux où ils ont tous les différents bacs pour trier », détaille Jožica Peljhan. Elle a encore plein de projets et souhaiterait qu’une vidéo explicative soit diffusée dans tous les bus venant à Bled pour expliquer la trajectoire zéro déchet de la ville et comment la respecter.

L’entreprise publique prévoit également d’ouvrir un magasin zéro déchet, vendant des produits sans emballage l’année prochaine. « Nous avons commencé par les déchets, maintenant on essaie de promouvoir le zéro déchet comme un mode de vie », expose Jožica Peljhan.

Du côté de la municipalité de Ljubljana, la capitale slovène, la stratégie zéro déchet a été englobée dans le projet plus large d’économie circulaire. Quatre priorités ont été identifiées : les emballages et le plastique à usage unique, le gaspillage alimentaire, le textile et les équipements électroniques. Pour chacun d’entre eux, la municipalité a développé des stratégies pour mieux les utiliser, les recycler, les réutiliser et pour réduire leur consommation. Car le recyclage, qui comporte des limites, n’est pas la panacée. « Le tri des déchets n’est qu’une petite partie de notre politique », indique Zala Strojin, responsable économie circulaire de Ljubljana, qui promeut un mode de vie où l’on jette le moins possible, quelle que soit la couleur de la poubelle.

Cette politique doit transformer en profondeur les chaînes de valeur. « Nous ne devons pas oublier que changer les habitudes prend du temps », rappelle-t-elle. Pour la responsable économie circulaire, cela passe par l’intégration du plus grand nombre d’acteurs possible, beaucoup de communication, et la nécessité pour la municipalité de montrer l’exemple. « Il faut éduquer au fait qu’on peut avoir une vie de qualité en possédant moins », argue-t-elle. Sans oublier la responsabilité des producteurs, souligne Jaka Kranj, d’Écologie sans frontière : « L’accent doit aussi être mis sur la nécessité d’avoir de meilleurs produits, plus recyclables, plus réparables, avec le moins de matières toxiques possibles, pour pouvoir vraiment passer à une économie circulaire ».

Par Eva Moysan (publié le 07/12/2022)
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