Les documents secrets du FMI sur la Grèce
Des documents confidentiels du FMI ont fuité dans la presse américaine à propos des tractations qui ont eu lieu concernant les plans de sauvetage à l’économie grecque.

Crise en Grèce

Il y a quelques jours, alors que nous étions tous occupés et préoccupés par le shutdown américain et les risques de défauts de paiements liés au conflit opposant républicains et démocrates sur le relèvement du plafond de la dette, des documents confidentiels du FMI, le Fonds Monétaire international, fuitaient dans la presse américaine.

C’est le Wall Street Journal qui a sorti ce dossier concernant les différentes réunions et tractations qui ont eu lieu en 2010 autour du sujet des plans d’aides nécessaires à l’économie grecque.

Les notes et les procès-verbaux du conseil d’administration du FMI sont accablants sur la façon dont il a été décidé d’aider la Grèce. Tout ce que nous disons depuis le début de la crise grecque, à savoir que les plans d’aides à la Grèce n’aident pas la Grèce, ni l’économie grecque et encore moins la population grecque mais sont des plans de sauvetages des banques, en particulier des banques européennes.

Ces documents confidentiels sont accablants sur la façon dont la Grèce a été et reste traitée aujourd’hui car sa situation est sans espoir économiquement parlant. Il a été décidé de sacrifier un pays entier pour préserver les bénéfices des grandes banques commerciales. Tout cela est une évidence depuis le début pour qui observe avec un tant soit peu de jugeote la situation.

Lors de la réunion du 9 mai 2010 du FMI, le conseil d’administration a approuvé le premier plan de sauvetage de la Grèce. Pourtant, il y a eu des désaccords considérables au sein même de l’institution et lors des différentes réunions. Néanmoins, Américains et Européens disposent de suffisamment de droits de votes pour pouvoir ignorer les autres avis, raison pour laquelle les pays émergents insistent de façon de plus en plus importante sur la réforme des institutions internationales.

Le directeur exécutif suisse René Weber dira :

« Nous avons des doutes considérables quant à la faisabilité du programme… Nous avons des doutes sur les hypothèses de croissance qui semblent être trop favorables.

Même un petit écart négatif par rapport aux projections de croissance de base rendrait le niveau d’endettement insoutenable sur le long terme… Pourquoi la restructuration de la dette et l’implication du secteur privé dans le plan de sauvetage n’a pas été considéré jusqu’ici ?… »

Pour une raison somme toute assez simple. « L’implication du secteur privé », ce sont les banques commerciales. Restructurer la dette grecque, abandonner des créances impossibles à rembourser c’était amputer d’autant les bénéfices et les fonds propres des grands banques commerciales du vieux continent. Cela signifiait faire des augmentations de capital en urgence, voire même demander à chaque État d’aller renflouer directement ses banques respectives.

Le directeur exécutif brésilien Paulo Nogueira Batista dira :

« Les risques du programme sont immenses… À l’heure actuelle, les programmes risquent de substituer aux financements privés des financements officiels. En d’autres termes, ce programme peut être considéré non pas comme une opération de sauvetage de la Grèce, qui devra subir un ajustement déchirant, mais comme un plan de sauvetage des créanciers privés de la Grèce, principalement des établissements financiers européens. »

« Notre décision d’aller dans le sens de ce programme problématique et risqué ne doit pas être interprétée comme signifiant que nous soutiendrons à l’avenir de telles politiques. À l’avenir, nous souhaitons nous assurer que le fonds monétaire international ne soit pas mené sur la voie d’approuver un programme qui peut se révéler mal conçu et finalement insoutenable. »

Voilà qui est limpide de clarté. Je rappelle que nous sommes le 9 mai 2010 et que déjà tout est parfaitement connu et anticipé concernant les conséquences délétères des politiques de rigueur menées en Grèce. Non seulement c’est connu, mais c’est en plus dit, écrit et acté sans que cela ne change rien aux décisions prises par nos gouvernants européens.

Le directeur exécutif argentin Pablo Andrés Pereira dira :

« L’alternative d’une restructuration volontaire de la dette aurait dû être mise sur la table… Les autorités européennes auraient été bien avisées d’arriver à un processus de restructuration ordonnée de la dette. La ligne du FMI est que la stratégie approuvée n’aurait qu’un impact marginal sur les problèmes de solvabilité de la Grèce… Or il est très probable que la Grèce soit dans un état aggravé après la mise en œuvre de ce programme. »

Encore une fois, nous savions exactement ce qui allait se passer avec l’effondrement de l’économie grecque, ce qui ne pouvait qu’aboutir à une spirale infernale de chute de l’activité, baisses des rentrées fiscales, augmentation de la dette… sans oublier les dégâts sociaux et les ravages humains.

Le directeur exécutif égyptien Shakour Shaalan dira que :

« Nous souhaiterions avoir de plus amples précisions sur les hypothèses… des projections de croissance à moyen terme qui nous semblent plutôt optimistes… Nous souhaiterions savoir si la restructuration de la dette a été parmi les options envisagées dans le programme d’aide.
La restructuration de la dette peut être considérée comme défavorable, mais elle doit être envisagée. »

Le directeur exécutif indien Arvind Virmani dira que :

« L’ampleur de la réduction budgétaire sans aucune politique monétaire en accompagnement est sans précédent.

C’est un fardeau de la taille d’un mammouth que l’économie pourra difficilement supporter.

Même si le programme est mis en œuvre avec succès, cela pourrait déclencher une spirale déflationniste de la baisse des prix, baisse de l’emploi, et la chute des recettes fiscales qui pourraient éventuellement compromettre le programme lui-même. Dans ce contexte, il est également nécessaire de se demander si l’ampleur de l’ajustement ne construit pas le risque d’échec du programme et l’arrêt des paiements conséquents…

Il est à craindre que le défaut et la restructuration soient inévitables. »

Là encore, le FMI était parfaitement au courant des risques qui pesaient sur la Grèce et de l’inutilité de telles mesures prises isolément, c’est-à-dire sans le levier de la dévaluation monétaire… liée au dogme de l’invincibilité de l’euro.

Le directeur exécutif chinois Il Jianxiong dira que :

« Les risques pour le programme sont importants… La projection de croissance semble optimiste. »

C’est pour le moins laconique et peu étayé bien que cela reste juste dans les faits.

Cette année, en juin 2013, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, revient sur le dossier de la Grèce en sortant l’inaltérable « on ne pouvait pas savoir » expression fourre-tout servant surtout à exonérer de toute responsabilité des gens qui sont censés pourtant en exercer.

« En mai 2010, nous savions que la Grèce avait besoin d’un plan de sauvetage, mais pas qu’il faudrait une restructuration de la dette… Nous n’avions aucune idée que la situation économique générale allait se détériorer aussi rapidement qu’elle l’a fait… »

Et nous, nous devrions croire Madame Lagarde qui ne savait pas ce que n’importe quel économiste de comptoir pouvait parfaitement prévoir dès le plan d’aide à la Grèce connu. Nous savions tous que la dette de la Grèce serait effacée à un moment ou à un autre et que plus l’on attendait, plus le coût global pour les contribuables européens serait élevé.

Résultat : plus de 3 ans après, nous allons recommencer avec le cirque de la dette grecque… qui n’a jamais été aussi élevée que maintenant.

Heureusement, comme le dit le FMI, désormais tout va beaucoup mieux puisque :

« Le programme actuel a déjà intégré les leçons du précédent. Il dispose d’un cadre pour la réduction de la dette de la Grèce et un engagement des Européens à accorder un allègement de dette supplémentaire, si nécessaire pour maintenir la dette sur le chemin prévu dans le programme, et à condition que la Grèce respecte ses objectifs budgétaires en 2013 et 2104. En outre, la Grèce a demandé et reçu un allègement de la dette. Sur des hypothèses de croissance, nous prévoyons une reprise tirée par une amélioration du sentiment, que les réformes puissent fonctionner, mais nous sommes plus prudents qu’avant et nous nous rendons compte qu’il faudra certainement plus pour que la Grèce renoue durablement avec la croissance. »

Que voilà des propos officiels et rassurants alors que la réalité, qui va nous rattraper dans quelques jours, est tout autre.

La Grèce et ses créanciers affichent d’importants désaccords.

Le ministre des Finances grec Stournaras a ainsi affirmé que les conditions posées par les créanciers (UE, BCE et FMI) risquent d’être drastiques tout en annonçant (ce qui reste de la posture politique) qu’il refuserait tout plan qui alourdirait l’austérité sans comporter de « mesures structurelles ».

En clair, la Grèce veut une nouvelle annulation de sa dette et c’est une évidence économique à défaut d’être une évidence morale incontestable.

Il faut bien avoir à l’esprit qu’en 2010 (moment où ont été prises les notes dévoilées plus haut dans cet article), la dette publique de la Grèce était de 133 % d’endettement sur PIB.

Aujourd’hui, en 2013, nous en sommes à 175 %… On ne peut donc pas dire que la politique menée jusqu’à aujourd’hui par la troïka ait brillamment réussi à régler les problèmes. Au contraire. Comme prévu, tout s’est bel et bien aggravé.

Or pour le moment, personne ne veut entendre parler de nouvel effacement de la dette grecque. Fin septembre, les négociations ont d’ailleurs été interrompues, officiellement pour des « raisons techniques » comme l’avait indiqué le communiqué de l’époque. Depuis, rien n’avance, et l’absence de constitution d’une nouvelle coalition gouvernementale en Allemagne empêche toute reprise du processus de négociation.

Nous sommes en 2013, tout le monde savait que nous allions vers l’échec. Nous y sommes. Il ne reste plus qu’à trouver à nos brillants mamamouchis une nouvelle idée, ou un nouveau tapis pour cacher ce nouveau problème. Le régler ne semblant jamais avoir fait partie des plans de nos dirigeants.

C’est un véritable scandale politique, économique, c’est un scandale de ce qu’est devenue l’idée européenne, c’est une honte démocratique, et pourtant… le silence est le plus total.

Pathétique.

Par Charles Sannat  (23 octobre 2013)

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