Le maire de New York tend la main aux sans-papiers
Bill de Blasio va délivrer des cartes d'identité aux quelque 500 000 sans-papiers de la ville, une première aux Etats-Unis pour une métropole de cette envergure.
Pour son premier discours sur l’état de la ville de New York, lundi, le maire Bill de Blasio a frappé fort. Entré en fonction le mois dernier, le plus grand édile de l’histoire de la ville (1,96m) a annoncé une série de mesures très sociales, de l’établissement d’un salaire minimum à la création d’une carte d’identité municipale pour les immigrés clandestins de New York. Cette dernière mesure va permettre aux ressortissants étrangers de la ville de prétendre aux services publics, à un logement et un compte bancaire.

Le maire a détaillé une partie de son projet en espagnol, signe qu’il vise l’importante communauté hispanique de New York. Elu en novembre dernier, Bill de Blasio n’a pas oublié qu’il a bénéficié d’un large vote latino, estimé à 85% environ. «Je crois très honnêtement que ça correspond à ses convictions, analyse James Cohen, professeur à l’Institut du monde anglophone de l’Université Paris 3. C’est une question de principe pour De Blasio mais aussi un coup politique qui lui permet de cimenter des secteurs déterminés de sa base électorale : les Latinos certes mais aussi l’aile gauche de la coalition qui a soutenu sa candidature».

Lors de ce premier discours d’importance, cet ancien allié d’Hillary Clinton a dit ne pas pouvoir «tolérer que certains des habitants» de New York vivent «dans l’ombre». «Nous protégerons le demi-million de New-Yorkais sans papiers dont les voix ne se font pas assez entendre.». Cette annonce a été accueillie avec ferveur par les démocrates de la ville. Le New York Times a, de son côté, souligné «le geste accueillant» du nouveau maire. «Ce serait une véritable impulsion pour le droit des immigrés, lit-on dans l’édito du jeudi 12 février. La preuve que «les villes peuvent être plus accueillantes et humaines».

De Blasio doit encore composer avec le gouverneur de l’Etat, le démocrate Andrew Cuomo, mais celui-ci devrait aller dans son sens. Le maire a assuré que les choses seraient prêtes dans «les semaines à venir». James Cohen estime que des précisions devront être apportées à ce projet : «De Blasio réfléchit à l’idée de distribuer cette carte à tous les immigrés, qu’ils soient en situation irrégulière ou non, pour qu’elle ne soit pas contre-productive. Il ne faudrait pas que cette carte dénonce les sans-papiers au lieu de les protéger».

New York deviendrait ainsi la plus grande ville américaine à se doter d’une telle législation, bien que San Francisco, Los Angeles ou encore New Haven aient mis en place des projets similaires ces dernières années. Cette mesure devrait «rendre la vie de centaines de milliers de gens plus facile et sûre», selon le New York Times, qui ajoute que, désormais, les sans-papiers pourront se rendre sans crainte dans les commissariats de la ville alors qu’ils étaient jusqu’ici «des victimes silencieuses et spectatrices de la criminalité».

«UN DEMI-VIRAGE POLITIQUE»
La carte municipale d’identité permettra avant tout aux immigrés sans papiers d’accéder aux bâtiments publics, et de disposer de remise sur les tarifs des clubs de sport, des parkings publics et des crèches ou centres de loisirs, comme tous les autres citoyens de la ville. Cette mesure intervient alors même que le gouvernement fédéral, bloqué par les conservateurs, hésite à régulariser les 11 millions de sans-papiers résidants sur le sol américain. «Nous ne pouvons pas attendre Washington pour agir», a argumenté Bill de Blasio, qui souligne que le blocage dans les plus hautes sphères de l’Etat «ne doit pas servir d’excuse à New York pour reporter ou ignorer sa mission». Pour James Cohen, cette initiative va permettre à la municipalité de court-circuiter l’Etat fédéral : «On attend depuis cinq ans une initiative d’Obama à ce sujet, mais l’affaire est bloquée, notamment à la Chambre des représentants. L’initiative la plus marquante du président a consisté à accorder un statut temporaire aux jeunes en situation irrégulière pour les protéger de l’expulsion. Comme par hasard, cette mesure date de juin 2012, quelques mois avant sa réélection».

En réaffirmant son programme social dès le début de son mandat, le démocrate Bill de Blasio confirme sa réputation de progressiste. James Cohen rappelle toutefois que le maire ne «prend pas un grand risque», New York étant une ville historiquement avant-gardiste sur les sujets de société. «C’est un demi-virage sur le plan politique, plus qu’un virage complet, compte tenu du passé de New York, confirme-t-il. Cette carte aura une valeur plus que symbolique, mais c’est aussi pour De Blasio une manière de réaffirmer sa position à gauche dès le début de son mandat.»

Par Thomas LIABOT

Lire sur le site de "Libération.fr" (15/02/2014)