L’île de Tilos revit depuis qu’elle a décidé d’accueillir des réfugiés.
Même la petite école a rouvert ses portes. Les projets ne manquent pas, tant pour donner du travail aux nouveaux venus que pour atteindre l’autonomie énergétique.

«Tiens, voila Maha, qui rentre du travail!» Elena Pissa de l’organisation «Solidarity Now», qui vient en aide aux réfugié·e·s de l’île de Tilos [île du Dodécanèse, de 63 km2] arrête sa visite du camp où vivent depuis plusieurs mois 10 familles syriennes, et prend dans ses bras Maha, d’environ 30 ans, issue de l’une d’elles. Maha affiche un beau sourire et même un rire franc quand elle essaye de répondre en grec aux questions d’Elena. Son foulard de couleur chatoyante, noué autour de ses cheveux, les yeux heureux, elle raconte sa journée de femme de chambre dans un hôtel de l’île.

Aujourd’hui, c’était jour de lessive et elle nous montre ses mains rougies d’avoir rincé, à l’eau de pluie, les draps. Maintenant elle file dans son conteneur au camp, cuisiner pour ses cinq enfants et à 18h elle repartira préparer des salades dans une taverne du port.

«Ici, je suis heureuse, dit-elle, j’ai un travail, et je laisse mes enfants seuls au camp. Ils sont en sécurité. Quand je suis arrivée j’avais peur, mais après deux semaines avec les gens de Tilos, avec Elena, c’était fini je n’avais plus peur.»

Parcours du combattant

Maha, comme tous les membres des familles syriennes du camp, revient de loin. A peine arrivée en Grèce, après un long périple qui l’a amenée de Syrie en Turquie, puis de Turquie à l’île de Lesbos, on l’avait envoyée dans un camp du Péloponnèse où rien n’était vraiment prévu pour les réfugié·e·s et encore moins pour les enfants qui n’avaient ni nourriture décente ni école. Pour les adultes, c’était pire: «Les enfants peuvent jouer même sous les bombes, mais nous non, lâche-t-elle. On ne faisait que penser à notre avenir et on ne voyait rien de bon. Ici, on peut s’imaginer vivre comme tout le monde.»

Ici, c’est l’île de Tilos. Un bout de rocher perdu en mer Egée, dans l’archipel du Dodécanèse, face à la Turquie, sans aéroport, à 18 heures de bateau d’Athènes. Autant dire au bout du monde, et pourtant, c’est sur ce caillou sec que les réfugiés ont trouvé refuge, mais aussi et surtout, une société qui ne demande qu’à les intégrer car, si Tilos peut les sauver, ils peuvent de leur côté donner une seconde chance à l’île.

Une résurrection

«Treize emplois ont été créés au camp, martèle la mairesse de Tilos, Maria Kama. Des familles de Tiliotes parties depuis des années, faute de pouvoir vivre sur l’île, sont revenues avec leurs enfants et, pour la première fois depuis 1970, il y avait 20 enfants scolarisés sur l’île, à la rentrée, l’année dernière! Ce n’est pas rien si on se rappelle que dans les années 1980 Tilos a failli disparaître faute d’habitants.» De fait, en 1991, on recensait 200 personnes sur l’île et 829 en 2011.

Cette rousse flamboyante était parmi les premières à tendre de l’eau et des couvertures aux migrant·e·s qui s’échouaient sur les plages de l’île. «On m’a tendu un bébé emmitouflé dans des couvertures, enroulé dans un gilet de sauvetage beaucoup trop grand pour lui, il était trempé. Je ne savais pas s’il était mort ou vivant. Je n’oublierai jamais.»

Du coup, elle ne s’est pas posée de questions, l’école a été réquisitionnée, puis lorsque les cours ont repris, c’était au tour du monastère, au bout du port, de l’être. Dans l’urgence, les migrant·e·s y ont dormi là et le pope était de la partie pour aider. Plus de 10’000 réfugiés sont passés par Tilos: «Très vite on a vu que cela ne suffisait pas, alors on a pensé au terrain militaire désaffecté, un peu plus loin, dans le village.»

Malgré l’opposition de ses propriétaires, il a été réquisitionné, aménagé avec une grande cuisine, une buanderie, des douches, une aire de jeux, une école, et depuis les réfugiés s’y succèdent. A l’époque, le financement venait des réseaux sociaux, des touristes et des Tiliotes eux-mêmes, mais devant le succès de cette nouvelle cohabitation, l’UNHCR, différentes ONG et le gouvernement grec ont décidé de soutenir Tilos pour ce programme pilote d’intégration de 500’000, euros.

«On nous a envoyé en 2015 des conteneurs, mais cela n’a pas été toujours facile», se rappelle, avec un sourire, Maria Kama. Tant que les frontières étaient ouvertes, les migrant·e·s se reposaient à Tilos, puis reprenaient leur route vers le nord de l’Europe, mais après l’accord UE/Turquie, en avril 2016, qui mit un frein aux arrivées massives de migrants en Grèce, la donne a changé: «Ces gens-là étaient piégés dans le pays. Il fallait non plus raisonner en termes d’aide, mais en termes d’intégration.» Et quand Maria Kama parle d’intégration, elle ne fait pas les choses à moitié. Elle a demandé que des familles entières avec enfants, mais toutes d’une même nationalité, et candidates à l’asile, soient envoyées à Tilos. «Au début, personne au ministère ne nous croyait. Mais on avait les infrastructures et on pouvait accueillir décemment 10 familles pour six mois, le temps que dure le programme d’intégration. Pourquoi hésiter? Après, elles décideront ce qu’elles voudront faire. Nous, on souhaite qu’elles restent à Tilos. On a tout fait pour cela. On leur a trouvé du travail, donné un numéro de sécurité sociale, une immatriculation fiscale, mais au bout du compte elles décideront elles-mêmes de leur futur.»

Seul bémol, l’emploi

Ironie du sort, ceux qui, sur l’île, ne voulaient pas du camp de réfugié·e·s, maintenant viennent aux réunions de la mairie pour voir «ce qu’on peut faire pour convaincre ces gens de rester». Cela fait sourire Elena, «ce n’est pas un hasard. Tout ce que l’on fait pour les réfugié·e·s, on le fait aussi pour la population locale à qui la priorité du travail est donnée. Au camp, nous accueillons une famille grecque qui a tout perdu avec la crise.»

Seul bémol, l’emploi. Si l’été Tilos manque de main-d’œuvre, l’hiver on est loin du plein-emploi. Mais Maria Kama a une idée. Elle veut ouvrir une coopérative pour fabriquer les anciens fromages réputés de l’île. Elle manque de fonds et lance un appel de financement. «Avec cette coopérative, tout le monde aura du boulot toute l’année, les Tiliotes comme les réfugié·e·s, ça vaut le coup d’essayer, non?»

Un petit “caillou” avec de grandes idées

Tilos, membre du réseau européen des zones protégées «Natura 2000», n’en est pas à son premier coup dans le domaine de l’innovation.

Elle a été la première île à se soigner par la télémédecine dans les années 1990, la première à inaugurer en 2006 le premier parc naturel du Dodecanèse, la première à y interdire la chasse, s’attirant les foudres des chasseurs de toutes les îles des alentours qui débarquaient à chaque saison pour chasser les quelque 150 espèces d’oiseaux répertoriées sur l’île.

Deux ans plus tard, Tassos Aliveris, l’oncle de l’actuelle mairesse, faisait un pied de nez à l’Eglise grecque en inaugurant les premiers mariages homosexuels qui sont toujours interdits actuellement dans le pays, et maintenant, Tilos s’apprête à être la première île à couvrir la totalité de ses besoins énergétiques via les énergies renouvelables.

Son coup de génie? Combiner un parc photovoltaïque de 400 kW et une éolienne de 0,8 MW. Quand l’un s’arrête, l’autre prend le relais pour une puissance totale de 800 kW soit presque 85% des besoins en énergie de l’île.

«Pour l’instant, regrette-t-il, il est interdit d’avoir 100% d’énergie renouvelable, la loi nous oblige à prendre 15% d’énergie conventionnelle, mais on espère que la loi va changer.»

Exit donc les énergies fossiles indispensables pour pallier le manque de vent ou de soleil d’autant que – et c’est un second coup de génie – pour la première fois, cette énergie pourra être stockée dans des grandes batteries qui viennent d’être livrées à la mi-octobre. Du jamais vu! D’où l’intérêt de 13 partenaires européens issus de 17 pays de l’Union pour ce projet de 15 millions d’euros.

La reconnaissance à la conférence de Paris

«A la conférence de Paris sur l’environnement, Tilos était non seulement citée, mais figurait sur tous les programmes et affiches», souligne Stathis Kontos, adjoint à la mairesse. Cela faisait un moment que Tilos qui ne compte que 500 habitants l’hiver voulait ne plus dépendre de l’île de Kos qui l’approvisionnait en énergie via un câble sous-marin.

«Si la tempête soufflait trop fort, on était certains de rester sans lumière quelques heures», se souvient Stathis qui suit le projet de très près. Aussi, quand la faculté technologique du Pirèe (TEI) a proposé de participer à un programme de recherche en énergie et technologies nouvelles Horizons 2020, Tilos a signé des deux mains. «Sans eux et sans les sociétés qui ont joué le jeu en nous fournissant le matériel, on n’y serait pas arrivé, souligne Stathis, mais nous étions l’île idéale pour toute expérience pour le TEI comme pour ces sociétés qui vont récolter un marché et des données uniques. Tilos est petite, avec moins de 1000 habitants, mais quand même plus qu’une poignée, éloignée de tout, venteuse, avec de la place pour installer les panneaux solaires et surtout la volonté d’y arriver.» Pas étonnant que le projet énergétique de Tilos ait supplanté 87 autres concurrents!

Motiver par l’impact sur le portefeuille

En vue de cette transition énergétique, prévue en grande pompe à la mi-janvier, la mairie a équipé toutes les maisons de l’île de compteurs intelligents qui donnent des indications précises sur le coût des consommations. «Les gens y voient leur intérêt et nous suivent», explique Maria Kama, mairesse de l’île. «Ils voient, par exemple, que s’ils baissent d’un degré l’air conditionné, leur facture chute sensiblement alors qu’un degré en plus ou en moins, on ne le sent pas vraiment.» Des arguments pour convaincre, Maria Kama n’en manque pas.

Par Angélique Kourounis

A lire sur alencontre.org (23/10/2017)