L’incroyable combat d’une travailleuse agricole contre l’exploitation des êtres humains
Yasmina Tellal, aux côtés d’autres travailleurs détachés agricoles, a brisé le silence sur leurs conditions de travail dans des exploitations agricoles du sud de la France. Fin septembre, la justice a condamné les gérants d’une entreprise dénoncée.

« J’ai mené cette bataille pour toutes les femmes, contre l’exploitation des êtres humains », souffle au téléphone Yasmina Tellal, employée de 2012 à 2017 par Laboral Terra, une entreprise de travail temporaire espagnole qui fournit de la main-d’œuvre aux exploitants et entreprises agricoles françaises. Après avoir vécu un calvaire dans les vergers et les serres de Provence durant des années, Yasmina et trois autres travailleurs agricoles saisonniers ont enfin été reconnus victimes par la justice.

Le 26 septembre, le tribunal correctionnel d’Avignon a condamné les deux gérants de Laboral Terra à verser aux travailleurs près de 100 000 euros d’indemnités, au titre des préjudices économique, financier et moral – soit 25 000 euros chacun. Les gérants de Laboral Terra ont également été condamnés à verser 1 euro symbolique à la CGT qui accompagnait les intérimaires en qualité de partie civile [1].

« C’est une grande victoire d’obtenir un préjudice moral. Dans ce type d’affaires, le symbole est important. Cela montre que la justice a compris l’enfer qu’ils ont vécu », a commenté Yann Prévost, l’avocat des travailleuses et travailleurs détachés. « Ils nous ont donné raison à 100 % : le travail non déclaré, le préjudice moral et économique, l’accident du travail, égrène Yasmina.

Une très longue bataille judiciaire

Le chemin de ces travailleuses et travailleurs pour en arriver là a été très long et difficile. « J’ai beaucoup bataillé pour avoir cette reconnaissance de notre souffrance par l’État français », reconnaît-elle. En 2020, nous avions longuement échangé avec Yasmina Tellal qui dénonçait les conditions « inhumaines » dans lesquelles elle avait été employée chez des exploitants et entreprises agricoles du sud de la France. « Ils n’ont rien respecté : ni les 35 heures ni les congés, et pas plus la possibilité d’avoir accès à la couverture complémentaire santé », dénonçait la travailleuse.
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Entre 2012 et 2017, ses contrats se sont enchaînés, dans l’emballage de fruits et légumes, puis dans les serres de fraises où l’ « on n’avait pas de pause, pas de café, pas le droit de manger, pas de toilettes », décrit-elle. Dans une autre entreprise d’emballage de pommes, Yasmina travaille 15 heures par jour, avec une heure de pause seulement. Il y a là « un comportement de mépris et un abus de la force de travail », nous avait confié son avocat.

En 2020, Yasmina Tellal dépose plainte contre Laboral Terra aux prud’hommes, avec quatre salariés, pour non-respect des contrats de travail, non-paiement des heures supplémentaires et des congés payés, manque à l’obligation de sécurité et préjudice moral.

Les cotisations sociales, qui sont payées en Espagne par l’entreprise de travail temporaire, se révèlent bien moins élevées qu’en France. S’il n’est pas illégal d’avoir recours au travail détaché, cela doit se faire de manière limitée dans le temps. Or, dans le cas de Yasmina Tellal, son avocat rappelle qu’elle a travaillé pendant plusieurs années pour deux de ces sociétés, ce qui confirme un besoin structurel, et non pas temporaire, de main-d’œuvre...

Par Sophie Chapelle (publié le 08/11/2023)
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