Face aux cadences infernales, des agriculteurs retrouvent le temps de souffler et de partir en congés
Certaines professions ne connaissent pas les jours fériés. Les agriculteurs, notamment les éleveurs, ont souvent un emploi du temps infernal. Il n’y a pourtant pas de fatalité : ils aspirent, eux aussi, à retrouver le temps de souffler. En milieu rural, les expériences foisonnent pour trouver des solutions pour les fermes : service de remplacement, aides de la MSA, robotisation, monotraite, groupements agricoles communs, mutualisation de la production, ou encore points de vente collectifs... Voici l’histoire de paysannes et paysans qui reprennent la main sur leur vie.

C’est une frange de la population qui rétrécit de façon vertigineuse. Entre 1988 et 2013, la population active agricole a été divisée par deux, passant sous la barre d’un million de personnes. Les derniers chiffres de la Mutualité sociale agricole (MSA) montrent que le nombre de chefs d’exploitation continue de baisser en 2017 [1]. « La moitié d’entre eux, dans les dix ans à venir, arriveront à l’âge de la retraite », alerte le président de la Fédération des associations pour le développement de l’emploi agricole et rural (Fadear) [2]. La transmission des fermes est un défi majeur, et il est loin d’être gagné. Avec une installation pour trois départs en 2016, la Bretagne, première région laitière de France, illustre les difficultés du secteur pour attirer une nouvelle génération.

L’image de la profession reste associée aux contraintes d’un métier imposant beaucoup de présence, y compris les week-end, en particulier en élevage. Agricultrices et agriculteurs sont la profession qui travaille le plus : 53,3 heures par semaine en 2016, contre 37,3 heures pour la moyenne française [3]. Quand l’absence de répit se cumule avec des difficultés économiques, tout peut basculer. En moyenne, trois agriculteurs se suicident chaque semaine selon les données les plus récentes dont dispose Santé publique France.

Tout remettre à plat avec l’aide d’associations et d’assistants sociaux

Cette détresse n’est pourtant pas inéluctable. C’est ce dont témoignent Angélique et Laurent, qui ont décidé de ne plus être « noyés par le boulot ». Producteurs d’œufs, de volailles, de porcs et de veaux dans le Rhône, ils ont longtemps travaillé « du lundi au dimanche », « tout le temps », au point de ne plus parler « à personne dans le village ». « Plus on faisait, plus on avait des problèmes de trésorerie. » En 2013, ils prennent un rendez-vous avec une assistante sociale de la MSA. Elle leur propose de profiter du dispositif « partir pour rebondir » qui permet le départ en vacances de familles d’agriculteurs en difficultés financières – tout en prenant en charge le service de remplacement. « Ça nous a fait un bien fou de nous retrouver en famille, de ne penser qu’à nous pendant quelques jours. »

A leur retour, ils décident de remettre à plat leur ferme en entamant un gros travail avec l’Afocg, une association aidant les agriculteurs à maitriser leur comptabilité. « On s’est posés et on a pris conscience que l’on pouvait faire quelques investissements pour que la vie soit plus simple. » Ils tâchent aussi d’être plus efficaces dans leur commercialisation, en proposant par exemple une vente à la ferme tous les quinze jours, et non plus chaque semaine. Ils s’octroient deux semaines de vacances par an et n’hésitent pas à profiter du retour d’une livraison pour pique-niquer en famille. « C’est important de faire des choses de ce type en pleine semaine pour sortir de chez nous, nous retrouver dans un autre cadre. »

A la conquête de droits, du service de remplacement au repos hebdomadaire

Angélique et Laurent continuent à faire appel au service de remplacement pour partir quelques week-end par an. « Au départ, des agriculteurs se sont regroupés pour employer à plusieurs un salarié afin d’assurer des remplacements ponctuels, explique Nicolas Sarthou, le président du service de remplacement, créé en 1972 par le syndicat des Jeunes agriculteurs. Il y avait déjà la volonté de pouvoir vivre comme la classe ouvrière qui bénéficiait de congés payés, de libérer du temps pour s’occuper de soi et de sa famille. » Ces services de remplacement se sont progressivement fédérés à l’échelle nationale sous forme associative [4]. En 2017, 21 000 agriculteurs y ont eu recours, une tendance à la hausse de 51 % en dix ans.

La possibilité de se faire remplacer au moins une fois par semaine a également été inscrite fin 2017 dans le plan de filière « lait de vache », issu des États généraux de l’alimentation. L’enjeu pour la Confédération paysanne, qui s’est battue pour ce droit au repos hebdomadaire, est de trouver le financement de ces 52 jours de remplacement par an pour l’ensemble des éleveurs, soit environ 100 000 personnes. A 180 euros par jour – coût d’une journée de remplacement – la mesure représente un budget annuel d’un milliard d’euros. Il existe aussi depuis 2016 un « droit au répit », une aide intervenant en cas d’épuisement professionnel sur les fonds propres de la MSA. 3500 agriculteurs en ont bénéficié en 2017 dont près de 40% d’éleveurs laitiers. Avec la possibilité de souffler régulièrement tout au long de l’année, le droit au repos hebdomadaire pourrait éviter d’en arriver à l’aide au répit...

Par Sophie Chapelle (publié le 03/05/2019)
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