Espagne : Le plan de choc pour freiner la hausse des prix de l’énergie
La hausse fulgurante des prix de l’énergie ne se limite pas à la seule Belgique. De nombreux pays font face au même phénomène. Mais les mesures politiques prises par les différents gouvernements européens pour y faire face divergent. Là où le gouvernement belge traîne à réagir, le gouvernement espagnol a pris le taureau par les cornes en mettant en place des mesures radicales pour protéger les travailleurs et les PME. Pour les financer, il n’a pas hésité à priver les grandes multinationales de 2,6 milliards d’euros de subsides.

En Espagne, les prix de l’électricité sont en augmentation constante depuis février 2021. Si aucune mesure n’avait été prise, la facture des Espagnols aurait probablement augmenté de 50 % par an. Elle serait alors passée de 547 à 821 euros entre 2020 et 2021. Impayable pour de nombreux ménages espagnols.

Le 14 septembre dernier, le Premier ministre socialiste Pedro Sanchez a annoncé les mesures prises par son gouvernement pour limiter la hausse des prix de l’énergie. Grâce à la pression d’Unidas Podemos (coalition électorale de Izquierda Unida et Podemos), partenaire minoritaire du gouvernement, le gouvernement n’y est pas allé de main morte :
  •     interdiction totale de couper le courant aux familles vulnérables au cours des six prochains mois ;
  •     baisse de la TVA sur l’électricité de 21 à 10 % (une mesure adoptée en juin, suite à la pression des organisations de consommateurs)
  •     baisse de l’impôt sur l’électricité de 5,11 à 0,5 % (0,5% étant le seuil minimum autorisé par la Commission européenne)
  •     suppression des subsides accordés aux producteurs qui émettent moins de CO2 (principalement les centrales nucléaires et les barrages hydroélectriques), qui ont engrangé des surprofits importants (voir cadre ci-dessous)1 ;
  •     fixation d’un prix plafond pour le gaz.
Le lobby du nucléaire furieux

Les producteurs d’énergie nucléaire n’ont pas tardé à protester. Le jour même de la publication des mesures prises par le gouvernement, le lobby nucléaire sortait un communiqué menaçant le gouvernement de fermer leurs centrales si le projet de loi était effectivement mis en œuvre.

Si cette menace était mise à exécution, cela reviendrait à supprimer d’un seul coup la production de près de 20 % de l’électricité du pays. Mais une levée de boucliers s’en est rapidement suivie. De très nombreux Espagnols se sont offusqués qu’en pleine crise énergétique, ces entreprises soient entièrement focalisées sur la défense de leurs immenses bénéfices plutôt que sur l’assurance que les travailleurs espagnols puissent payer leur facture d’électricité.

Le pouvoir au peuple

Grâce à ces mesures fortes, les travailleurs et les familles espagnols n’auront pas à payer les conséquences de l’explosion du prix du gaz sur le marché international. Izquierda Unida et son ministre à la consommation, Alberto Garzón, s’en félicitent, tout en reconnaissant les limites.

Izquierda Unida estime en effet qu’on ne peut solutionner ce problème structurel simplement en jouant sur la fiscalité. Il faut avant tout se donner les moyens de pouvoir limiter drastiquement les bénéfices astronomiques des géants de l’énergie. Et cela commence par la réalisation d’un audit en profondeur afin d’évaluer les coûts réels de production d’électricité.

Ensuite, déclare Alberto Garzón, « nous avons besoin d’une réforme structurelle du marché de l’énergie. Nous sommes face à un oligopole.2 Je réitère la proposition historique d’Izquierda Unida qui veut la création d’une entreprise d’énergie publique qui puisse servir de contrepoids au pouvoir de l’oligopole. » Une proposition portée également par le PTB qui souhaite lui aussi la création d’une entreprise publique, 100 % verte et 100 % transparente, afin que la production d’énergie soit entièrement dans les mains du peuple, et non des actionnaires.

Les surprofits des multinationales du secteur

Il existe plusieurs manières de produire de l’électricité : nucléaire, éolien, barrages hydrauliques, centrales au gaz… Mais le prix du gaz à un poids important dans la fixation du prix moyen de l’ensemble de l’électricité.3 Avec la reprise économique qui s’amorce après 18 mois d’activités réduites suite à la pandémie du coronavirus, la demande de gaz est en forte hausse. Cela a donc un impact direct sur l’augmentation des cours de l’électricité sur les marchés internationaux.
De plus, les centrales au gaz émettent proportionnellement beaucoup de CO2 par rapport au nucléaire ou aux barrages hydrauliques. Et la reprise de l’économie mondiale n’a pas seulement boosté la demande de gaz, mais a également fait monté le prix de la tonne de CO2 sur le marché des ETS (marché d’émission des gaz à effet de serre). C’est donc une double peine pour les consommateurs qui, rappelle Unidas Podemos, subissent un modèle de fixation des prix régis par des normes européennes. Un modèle taillé sur mesure pour l’apparition et la consolidation de géants énergétiques privés qui se goinfrent de bénéfices sur les dos des consommateurs.

1 Le bénéfice escompté est considérable : 2,6 milliards d’Euros d’ici à la fin mars 2022, période à laquelle la crise du gaz prendra fin, selon les spécialistes. Le gouvernement prévoit de réallouer cet argent à la réduction des factures des consommateurs.

2 Un oligopole est un marché où un petit nombre de vendeurs ont le monopole de l'offre, les acheteurs étant nombreux.

3 Le coût de l’électricité à un instant « t » est déterminé par le coût marginal de sa production à ce même instant « t ». La flexibilité de production des centrales au gaz fait qu’elles soient déterminantes dans la fixation de ce prix lors des pics de consommation.

Par André Crespin (publié le 27/09/2021)
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