Enquête France Inter - La carte des communes qui ont pris des arrêtés anti-pesticides
Paris, Nantes, Dijon... avec l’aide des auditeurs de France Inter, nous avons recensé toutes les communes en France qui ont pris des arrêtés pour interdire les pesticides dans leur commune. Au total, nous avons trouvé 52 communes mobilisées. Des mairies de droite ou de gauche, dans toutes les régions.

Suspendu par le tribunal administratif de Rennes, l'arrêté pris le 18 mai par le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), Daniel Cueff, a fait des petits. Le texte bannissait l’utilisation de produits phytopharmaceutiques "à une distance inférieure à 150 mètres" des habitations et bâtiments professionnels. Au total 52 maires ont pris des arrêtés pour encadrer, voire interdire complètement, l'usage des pesticides de synthèse chimique et du glyphosate sur leur territoire, à l'instar du maire de Langouët.

Des petites communes, des grandes villes, de droite ou de gauche

Si on dénombre 40 communes qui ont suivi l'exemple de Langouët, 11 autres ont été précurseurs du mouvement. Les 52 villes sont disséminées dans toutes les régions de France, du Palais (Morbihan) en Bretagne, à Aubenas-les-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence), près de Marseille. Les dernières en date : Lille (232.000 habitants), Nantes (307.000 habitants), Grenoble (158.000 habitants) et Clermont-Ferrand (141.000 habitants), et surtout Paris (2.190.000 habitants).

On trouve des grandes villes comme Dijon (Côte-d'Or, 155.000 habitants), Nanterre (Hauts-de-Seine, 94.000 habitants) ou Antony (Hauts-de-Seine, 62.000 habitants). Et de toutes petites communes comme La Roque-Sainte-Marguerite (Aveyron, 155 habitants) ou Moustier-en-Fagne (Nord, 60 habitants). Des mairies de droite (Antony), du centre (Sceaux) ou de gauche (Dijon) sont aussi bien concernées.

Le 10 septembre, les villes ont même été rejointes par le département du Val-de-Marne. Le président du conseil départemental, Christian Favier a annoncé avoir pris un arrêté "interdisant l'usage de produits phytopharmaceutiques contenant du glyphosate ou des perturbateurs endocriniens".

Un premier arrêté contre les pesticides en 2012

L'ancien maire de Château-Thierry (Aisne), Jacques Krabal, était le premier à prendre ce type d'arrêté en juin 2012 interdisant "la pulvérisation de pesticides agricoles par engin héliporté dans un rayon de 200 mètres autour des zones habitées" de mai à septembre. Puis ce fut le tour de Saint-Jean (Haute-Garonne), Balacet (Ariège), Saint-Julien-du-Sault (Yonne) en 2016, et en 2017 Ruelle-sur-Touvre (Charente) qui souhaitait l’interdiction de toute pulvérisation de produits chimiques à moins de 50 mètres des habitations.

En février 2017, Henri Boguet, le maire de Fontoy (Moselle), s'est attaqué aux pesticides néonicotinoïdes. À l'époque, son arrêté a été retoqué par la préfecture. Six ans plus tard, ces insecticides ont été bannis de tout le territoire français. Médecin depuis 40 ans, "j’ai remarqué une hausse importante des maladies digestives au cours de ces dernières années", explique Henri Boguet. Pour lui, le lien avec l'utilisation de produits phytosanitaires ne fait aucun doute. "Le jour où les fonctionnaires nationaux ou européens auront des enfants atteints par ces maladies, ils comprendront l'urgence de prendre ces décisions d'interdiction", juge le maire.

Palier les "carences de l'Etat"

Sur Twitter, la ministre de la Transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne, dénonce un "coup de com", en particulier de la part des "grandes villes". En effet, depuis le 1er janvier 2017, les communes n'ont déjà plus le droit d’utiliser des pesticides de synthèse chimique dans les espaces verts, promenades, forêts, cours d'écoles et le long des routes ou des fleuves. Ces décisions peuvent donc paraître symboliques dans des communes non rurales.

Sauf qu'avec ces arrêtés, les édiles élargissent le champ d'interdiction prévu par la loi, en y intégrant notamment "la RATP et les copropriétés dont les espaces verts représentent à peu près 10% du territoire", note Philippe Laurent, maire de Sceaux (Hauts-de-Seine). Il a pris un arrêté le 20 mai qui interdit "l’utilisation de tout produit contenant du glyphosate et autres substances chimiques, et notamment ceux contenant des perturbateurs endocriniens". "Nous avons une mission, confiée par la Constitution de protéger la santé publique de nos concitoyens", justifie-t-il auprès de France Inter.

"Face aux carences de l'Etat", Béatrice de François, maire de Parempuyre (Gironde), estime elle aussi avoir "le droit de réagir". Pourtant, son premier arrêté pris en janvier a été retoqué. Encouragée par l'écho suscité par l'arrêté du maire de Langouët, elle en prend un second le 23 août pour interdire les produits phytopharmaceutiques sur sa commune, à moins de 100 mètres des habitations. Une décision qui la place dans une position inconfortable vis-à-vis de ses administrés agriculteurs et éleveurs.

"Ce n'est pas contre eux, martèle la maire, ça fait des décennies qu'on leur dit que ces produits ne risquent rien." Là encore, "ce serait à l'État de consacrer une enveloppe financière pour les aider à se reconvertir dans le bio", juge-t-elle. Si les particuliers ne peuvent plus détenir ou faire usage de pesticides de synthèse chimique depuis janvier 2019, aucune loi n'interdit aux agriculteurs d'en faire usage.

La distance d'épandage en question

Il y a bien une directive européenne qui impose depuis 2009 aux États membres de prendre des mesures pour protéger les habitants de l’épandage de pesticides. Mais au sein même du gouvernement, la question de la distance minimale réglementaire entre les zones d'épandage et bâtiments habités divise, comme le rapporte Europe 1. Alors que la ministre de la Transition écologique et solidaire serait favorable à une distance de 100 à 150 mètres, le ministre de l’agriculture pencherait plutôt pour une bande de 3 à 5 mètres. L’exécutif devrait trancher la question d’ici début 2020.

Ces distances sont bien insuffisantes aux yeux de Brigitte Reynaud, maire de Revest-des-Brousses (Alpes-de-Haute-Provence). Son arrêté signé le 12 juillet interdit l'utilisation produits phytopharmaceutiques à moins de 500 mètres des habitations, des bâtiments professionnels, des puits de captage, des sources et des cours d'eau. "Bien plus que les périmètres prévus par les arrêtés ministériels, souligne-t-elle, au final cela équivaut à la totalité de la surface de la commune."

    On voit nos amis mourir de cancers, avoir des problèmes respiratoires.

L'élément déclencheur de cette décision : "des administrés qui sont venus m’alerter sur le fait que des agriculteurs épandaient des produits phytopharmaceutiques à proximité de leurs habitations, rendant l'air irrespirable, et près d'un puits de captage dont ils se servent pour l'eau potable", raconte-t-elle.

Comme d'autres, Brigitte Reynaud a reçu un courrier de la préfecture lui enjoignant de supprimer son arrêté considéré comme "illégal et pas de la compétence du maire". Une aberration pour l'élue : "Un maire n'a-t-il pas la compétence de protéger ses concitoyens ? On est au contact du terrain, on voit nos amis mourir de cancers, avoir des problèmes respiratoires, même des non-fumeurs... On le sait tout ça et on veut que ça bouge."

Haro sur le glyphosate

Lui aussi ne veut plus attendre. Bertrand Astric, le maire de Boussières (Doubs), a pris un arrêté le 26 juin pour interdire l'utilisation de tout produit contenant du glyphosate. Il devance ainsi le gouvernement qui a repoussé sa décision sur l'interdiction du glyphosate à 2021. Comme lui, 13 maires ciblent spécifiquement cette molécule dans leurs arrêtés, à l'image de celui de Dijon, Nanterre et Villeneuve-d'Ascq.

Bertrand Astric n'en peut plus de _"voir notre écosystème et notre biodiversité se réduire comme peau de chagrin"_. "Nos pare-brises ne sont plus recouverts d'insectes, on ne voit plus les nuées d'insectes autour des lampadaires", se désole cet apiculteur amateur qui a vu le taux de mortalité des ruches passer "de 5% il y a 20 ans, à 25% ou 30% aujourd'hui". Dans son jardin, "les rouges-gorges ont disparu". "Si les maires se sont lancés dans cette démarche, c'est qu'il y a urgence", s'alarme Bertrand Astric, dépité de se voir déféré devant le tribunal administratif de Besançon par la préfecture du Doubs, comme un "voyou".

"C’est sur le plan juridique qu’il faut se battre"

"Il faut faire bloc !, exhorte Brigitte Reynaud, co-signataire d'un appel à tous les maires. Plus nous serons nombreux, plus vite l'État devra répondre à cette demande des citoyens et des élus." Un collectif de "maires anti-pesticides de synthèse et glyphosate" a été créé et une pétition de soutien "pour protéger la santé des habitants" réunit près de 32 000 signatures. Un appel pour l’interdiction de tous les pesticides de synthèse, lancé par l'association Nous voulons des Coquelicots, décompte également plus de 807 400 signatures.

"Il y a un vrai problème sanitaire qui va nous exploser au visage", poursuit Denis Szalkowski. Dans sa commune de Saint-Éloi-de-Fourques (Eure), il a été alerté par les niveaux élevés de nitrates et surtout de pesticides, "au-delà du seuil de potabilité" de l'eau. L'arrêté qu'il a signé le 24 juin interdit aux agriculteurs de traiter et d'amender leur sol en nitrate sur une bande de deux mètres autour des routes. "Les gens à proximité des parcelles traitées dans ma commune sont obligés de se barricader chez eux au moment des traitements", déplore le maire.

"L’État dit que le ministère de l’Agriculture a une exclusivité de compétences sur l’utilisation des pesticides, c’est faux ! C’est sur le plan juridique qu’il faut maintenant se battre collectivement", conclut Denis Szalkowski, considérant que "la bataille de l'opinion n'est plus à faire". Pour lui comme pour d'autres maires, c'est devant le tribunal administratif que tout va se jouer. D'autres, comme les communes de Wignehies et Anor (Hauts-de-France), ont renoncé face à l'opposition de leur préfecture.

Malgré tout, ces arrêtés exercent une certaine pression sur le ministère de l'Agriculture qui propose une consultation publique réunissant tous les acteurs (préfet, agriculteurs, associations, riverains etc...) début octobre, notamment pour définir des zones de non-traitement autour des habitations.

Par Léa Guedj (publié le 06/09/2019)
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