En Bretagne, la victoire des salariés empoisonnés aux pesticides
« C’est l’aboutissement d’un long combat, après tant d’années. » Dans les yeux bleus d’Edith Le Goffic se lit une part de soulagement malgré le chagrin. En mars 2014, son mari, Gwenaël, 41 ans, s’est suicidé sur son lieu de travail, l’entreprise d’agroalimentaire spécialisée dans l’alimentation animale Nutréa, à Plouisy, dans les Côtes-d’Armor. Après six ans et demi de bataille judiciaire, le lundi 8 mars, cette employée commerciale de 48 ans a enfin pu souffler : l’entreprise a choisi de ne pas se pourvoir en cassation.

En janvier, la cour d’appel de Rennes a acté la responsabilité de la société et sa faute inexcusable quant au suicide de son conjoint. Elle déclare : « L’employeur a violé les obligations s’imposant à lui en matière de sécurité et destinées à protéger tant la santé mentale que physique de Gwenaël Le Goffic. » « Leur attitude inhumaine, leur volonté d’étouffer l’affaire m’ont donné envie de me battre », ajoute la mère de deux enfants, pleine d’émotion, dans les modestes locaux de l’Union syndicale Solidaires à Saint-Brieuc.

Céphalées, nausées, diarrhées

C’est ici que tout a commencé, ou presque, dans cette salle où sont réunies ce matin-là toutes les parties qui combattent l’entreprise. En juin 2010, Stéphane Rouxel, réceptionneur de céréales sur le site de Nutréa à Plouisy, franchissait la porte du syndicat. Un an plus tôt, lui et son collègue Laurent Guillou étaient intoxiqués par du dichlorvos, un insecticide dangereux et interdit en France depuis 2007, utilisé à au moins deux reprises pour éradiquer charançons et autres vers de farine dans les silos de céréales.

    « Notre syndicat, la CFDT, nous a demandé de ne rien dire, de ne pas faire de vague. Mais, nous, on ne pouvait plus travailler, on saignait de partout. » Stéphane Rouxel, ex-salarié de Nutréa

« Tous les soirs, on devait couper la ventilation dans le lieu de stockage des céréales pour faire des économies d’énergie », raconte le second. Très vite, les deux hommes, qui ont été en contact avec le produit, ont ressenti des symptômes : céphalées, maux de ventre, nausées,
diarrhées, irritations des voies aériennes, brûlures cutanées… et ont souhaité alerter leur entreprise, filiale du groupe d’agroalimentaire Triskalia (aujourd’hui Eureden), géant aux 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018.

« Notre syndicat, la CFDT, nous a demandé de ne rien dire, de ne pas faire de vague, soupire Stéphane Rouxel, physique trapu et regard perçant. Mais, nous, on ne pouvait plus travailler, on saignait de partout. Il fallait qu’on aille plus loin. » ...

Par Manon Boquen (publié le 19/03/2021)
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