Des paysans indiens ouvrent une brèche dans l’impunité de la Banque mondiale
La mobilisation d’agriculteurs et de pêcheurs du Gujarat (ouest de l’Inde) a entraîné un jugement important de la Cour suprême des États-Unis, le 27 février 2019. Les juges ont décidé que la Société financière internationale (SFI), organe du Groupe Banque mondiale, chargé du financement d’entreprises privées, ne pouvait se prévaloir de l’immunité des organisations internationales lorsqu’elles financent des activités commerciales[1].

Retour sur les faits. En 2008, la SFI a participé au financement d’une centrale à charbon à Munda à hauteur de 450 millions de $. Les conséquences néfastes sur les communautés locales sont multiples : dégradation de l’air et de l’écosystème marin, empoisonnement de l’eau, déplacement de populations, destruction du mode de vie. C’est pourquoi des agriculteurs et des pêcheurs, qui ont subi une perte de leurs moyens de subsistance et une dégradation de leur environnement, demandent à la justice des États-Unis – où se trouve le siège de la Banque mondiale – de condamner cette organisation à réparer leur préjudice social et environnemental.

Après un premier revers en 2016 d’un tribunal de Washington qui a rejeté leur plainte au motif que la Banque mondiale bénéficierait, en tant qu’organisation internationale, d’une immunité absolue, les communauté indiennes viennent de remporter une victoire historique devant la Cour suprême des États-Unis. Les juges de la Cour suprême viennent en effet de lever l’immunité de la banque pour des dommages qu’elle causerait dans le cadre de ses activités commerciales, comme sa participation à la construction de barrages, de centrales à charbon, son soutien à des projets d’exploitation minière ou de déforestation.

Cet arrêt de la Cour suprême constitue donc à la fois un revirement de jurisprudence, un camouflet pour la Banque mondiale, une première victoire pour les paysans indiens et plus largement un pas important dans la lutte contre l’impunité des Institutions financière internationales. À cet égard, le CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) soutient pleinement les communautés indiennes afin qu’elles obtiennent la réparation de leur préjudice et encourage d’autres procès contre la Banque mondiale par les victimes de ses projets et de ses politiques.

Pourquoi faire des procès contre la BM ?

Le CADTM y travaille depuis plusieurs années. Les raisons de demander des comptes à la Banque mondiale sont multiples : pour le transfert de dettes coloniales, le soutien des projets criminels pour les populations et l’environnement, le soutien à des dictatures et à des régimes criminels, enfin les désastres causés par les Plans d’ajustement structurel (PAS).
Le transfert de dettes coloniales

La Banque a octroyé des prêts aux métropoles coloniales (Belgique, Royaume-Uni, France…) pour l’exploitation des ressources naturelles des pays qu’elles dominaient jusqu’aux années 1960 et qui ont formé la partie principale de la dette extérieure des États dès leur indépendance. Par exemple, la fin des remboursements de la dette contractée par la Belgique au nom du Congo belge a dû être assumée par le Congo indépendant[2]. Éric Toussaint, chercheur reconnu pour ses travaux sur la Banque mondiale[3], affirme qu’il en est de même concernant le Kenya, l’Ouganda, le Nigeria, le Gabon, la Mauritanie, l’Algérie, la Somalie, pour des dettes contractées par les gouvernants des puissances coloniales.

Le soutien de projets criminels pour les populations et l’environnement

Entre 2004 et 2013, deux projets initiés par la Banque mondiale ont causé le déplacement, volontaire ou involontaire, de 1.770 personnes au Maroc, selon une enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigations (ICIJ). Les journalistes regroupés sous l’ICIJ ont également révélé qu’au total les programmes de la banque ont causé le déplacement de plus de 3,35 millions de personnes dans le monde pendant cette période avec parfois le recours de policiers armés chargés de les expulser.

En RDC, la politique de déforestation pilotée par la BM pour le plus grand bénéfice des grandes entreprises privées étrangères a totalement ignoré l’existence même de la communauté pygmée. Or, ne pas tenir compte du mode de vie des Pygmées dans la gestion des forêts de la province de l’Équateur menace leur survie même. La Banque mondiale, en privant les Pygmées (environ 600.000 personnes) de leurs terres, les prive de leurs moyens de subsistance et de leurs vies tout simplement[4].

En 2015, Philip Alston, Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains affirmait que « la Banque mondiale s’assied sur les droits humains. Elle les considère davantage comme une maladie infectieuse que comme des valeurs et obligations universelles ». Ses propos étaient largement argumentés dans un rapport présenté devant l’Assemblée générale de l’ONU en août de la même année.

Nous pourrions ajouter le soutien à des dictatures et des régimes criminels, ou l’imposition des programmes d’ajustement structurel qui ont eu des conséquences sociales catastrophiques néfastes et ont causé de nombreuses atteintes aux droits humains fondamentaux.

Rappelons qu’il y a deux mois, Jim Yong Kim annonçait sa démission de la présidence de la Banque mondiale pour rejoindre un grand fonds d’investissement privé spécialisé. Avant son départ, J. Y. Kim a participé à la promotion du shadow banking[5] et de la titrisation pour financer le développement, tout en intensifiant le recours au secteur privé via la Société financière internationale (SFI), filiale de la Banque mondiale réputée pour ses liens étroits avec les paradis fiscaux. La directrice générale de l’institution, devait assurer l’intérim en attendant qu’un successeur soit désigné par le président des États-Unis, tout un symbole pour cette institution anti-démocratique œuvrant à l’encontre des intérêts des populations de la planète.

Dans quelques jours, paraîtra le dernier numéro de la revue Les Autres Voix de la Planète (AVP n°76). Celui-ci porte sur les dettes coloniales et les réparations, une thématique à la fois ancienne et qui n’en reste pas moins très actuelle et pertinente. N’attendez plus pour vous abonner! : http://www.cadtm.org/Dettes-Coloniales-et-Reparations.

Par Robin Delobel (publié le 24/03/2019)
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