Deliveroo perd en appel, ses coursiers devront être requalifiés en salariés
La cour du travail de Bruxelles a condamné Deliveroo Belgium, ce vendredi. Un retournement de situation qui pourrait avoir de grandes conséquences pour les plateformes de livraison en Belgique.

Voici un retournement de situation qui pourrait changer l'avenir des plateformes de livraison de repas en Belgique et remodeler ce business en profondeur. La cour du travail de Bruxelles a condamné, ce vendredi, Deliveroo Belgium à "requalifier la relation de travail" la liant à ses coursiers en "relation de travail salariée et d'appliquer le régime de Sécurité sociale des travailleurs salariés", est-il indiqué dans l'arrêt. "La transgression matérielle des normes de droit social en cause est incontestablement le fait libre et conscient de Deliveroo", précise-t-il.

Pour la cour, plutôt sévère dans ses attendus, le "système" mis en place par Deliveroo induit "des restrictions à la liberté du coursier de choisir et planifier ses périodes de travail" et que celui-ci "ne peut pas organiser librement son travail comme le ferait un cocontractant indépendant". Elle considère que le coursier de Deliveroo est "contraint à fournir une prestation largement standardisée". Enfin, au sein de ce "service de transport", le coursier "ne constitue aucune clientèle propre et ne fixe pas librement ses tarifs".

Deliveroo va se pourvoir en cassation

Cette décision annule et remplace le premier jugement qui avait donné raison à Deliveroo. Elle est exécutable dès aujourd'hui. Les parties – l'auditorat du travail de Bruxelles, l'ONSS, les 115 coursiers concernés et Deliveroo – se retrouveront devant la cour du travail en avril 2025 pour décider des indemnités de requalification des contrats de travail ainsi que les sommes dues à la Sécurité sociale.

Deliveroo a déjà annoncé son intention de former un pourvoi en cassation. "Deliveroo est déçu par la décision de la cour du travail de contredire le jugement antérieur, selon lequel les coursiers de la plateforme sont des travailleurs indépendants. L’arrêt ne tient pas suffisamment compte des spécificités du modèle de travail de Deliveroo. Deliveroo étudie attentivement l’arrêt et formera ensuite un pourvoi devant la Cour de cassation", a indiqué l'entreprise, dans un communiqué.

Du côté des 115 coursiers qui ont suivi en justice l'action de l'auditorat du travail, la satisfaction est de mise. "Nous sommes très contents de voir que la Belgique n’est pas le dernier pays d’Europe à trouver qu’il n’y a pas de problème à faire rouler des coursiers dans des conditions de travail décidées de A à Z par Deliveroo. Cette entreprise est un employeur, qui a des obligations d’employeurs", se réjouit Sophie Remouchamps, avocate de plusieurs coursiers.

Le dossier était né en 2017 d'une action de l'auditorat du travail de Bruxelles. Celui-ci avait choisi la voie civile plutôt que pénale, dans le seul but de questionner la relation de travail entre Deliveroo et ses coursiers. Six longues années et un marathon judiciaire plus tard, il obtient satisfaction.

Conséquences importantes

La décision de la cour du travail pourrait avoir des conséquences importantes en Belgique pour la plateforme de livraison qui a fondé l'intégralité de son modèle sur le statut de travailleurs de l'économie collaborative de ses coursiers, fait d'une grande flexibilité et d'une faible fiscalité. En 2020, Deliveroo, via son ex-CEO avait prévenu qu'elle devrait limiter fortement sa présence en Belgique, voire la quitter, en cas de décision judiciaire défavorable. "Si Deliveroo ne veut pas respecter les règles du jeu et quitte la Belgique, dont acte. Ils ont créé ce marché, c'est vrai, mais s'ils le quittent, un autre prendra la place", commente Sophie Remouchamps.

Pour l'avocate des coursiers, l'arrêt doit maintenant pousser les administrations à prendre leurs responsabilités. "L'administration fiscale doit s'y intéresser, il ne serait pas normal qu'elle ne tienne pas compte de cet arrêt dans ses rulings. Le ministre des Finances devrait activer son administration. L'ONSS pourrait aussi rebondir sur cet arrêt pour viser tous les coursiers de Deliveroo. Le Contrôle des lois sociales pourrait en faire de même." Uber Eats, le principal concurrent de Deliveroo en Belgique, pourrait également être poursuivi par des coursiers puisque le géant américain fait également appel à des coursiers travaillant sous le statut de l'économie collaborative.

En Belgique, ce statut est encadré depuis 2016 par la loi de l'ancien secrétaire d'État Alexander De Croo. Celle-ci a conféré aux livreurs des plateformes de livraison de repas un précompte professionnel réduit à 10,7% en dessous de 7.170 euros brut par an. La loi a été réformée par le Jobsdeal d'octobre 2022 qui prévoit une présomption de salariat pour les coursiers. Uber Eats et Deliveroo ne l'ont jusqu'ici pas appliquée.

Par Julien Balboni (publié le 22/12/2023)
A lire sur le site L'Echo