Démocratie. Budget participatif  : une innovation politique en plein boom
Les villes pionnières se sont réunies en fin de semaine dernière à Montreuil. Elles soulignent les avantages de cet outil renforçant le pouvoir d’agir des habitants, mais regrettent qu’il ne soit pas soutenu au niveau national.

Un pêcher reprend ses droits, peu à peu, sur un mur de près de 3 mètres de haut. Et rien de plus normal, puisque nous sommes au cœur du quartier des « murs à pêches », à Montreuil (Seine-Saint-Denis). Des terres sur lesquelles s’est développée, avant guerre, une importante production fruitière le long de murs spécialement érigés pour l’activité horticole, sur un espace recouvrant près de 34 hectares. L’urbanisation et l’installation d’entrepôts ont peu à peu caché ce merveilleux dédale aux yeux du public. Il l’est un peu moins depuis que la ville a lancé son premier budget participatif, en 2015. Le principe est simple : la municipalité alloue 5 % de son budget d’investissement à des projets proposés directement par les habitants. Une fois étudiés par les services techniques de la ville, les projets sont soumis au vote sur une plateforme numérique et dans des bureaux de vote installés au cœur des quartiers. Autrement dit : les habitants décident, et la collectivité réalise.

L’engouement pour cet outil a dépassé les frontières communales

C’est ainsi que l’association Oxymore a obtenu 44 000 euros pour transformer certaines friches des murs à pêches en lieux associatifs et culturels éphémères, grâce à la création de bars et de scènes mobiles créés à partir de vieilles caravanes. Un projet 100 % citoyen, qui « a permis la réappropriation d’un espace public par les habitants », se réjouit Tania Assouline, adjointe au maire de Montreuil. Au sein du quartier Villiers-Barbusse, c’est l’extension d’un four à pain associatif qui a été actée. Depuis, les écoliers et les habitants se retrouvent autour du fournil pour mener des activités pédagogiques ou des soirées où l’on pétrit du lien social. La « saison  2 » du budget participatif a, quant à elle, retenu 37 projets, parmi lesquels figure la création d’un chantier participatif de femmes pour transmettre des savoirs du bâtiment.

« Donner du pouvoir d’agir aux habitants permet de retisser un lien de confiance, d’approfondir notre système démocratique, alors que les taux d’abstention sont très importants », souligne Tania Assouline, adjointe au maire de Montreuil, ville où se sont déroulées les 3es Rencontres nationales des budgets participatifs, en fin de semaine dernière. Un événement coorganisé avec Paris, Rennes et Grenoble, pionnières en la matière.

En 2014, à peine six communes étaient engagées dans un tel processus. On en compte près de 80 aujourd’hui. L’engouement pour cet outil a dépassé les frontières communales. Le département du Gers vient de lancer le sien, tout comme l’université de Rennes-II ou celle de Tours. Le phénomène risque de s’accélérer avec les prochaines municipales et cette innovation de figurer dans de nombreux programmes, de gauche comme de droite. Angers vient en effet de s’y mettre, Bordeaux a envoyé des émissaires aux Rencontres montreuilloises. Aujourd’hui, plus de 6 millions de Français vivent dans une commune engagée dans un budget participatif, d’après une note publiée en octobre par la Fondation Jean-Jaurès.

Un formidable « outil d’éducation populaire »

Fini le temps où on avait son mot à dire sur l’avenir de la commune une fois tous les six ans. En plus de favoriser la participation de citoyens écartés de la démocratie représentative (étrangers, mineurs, mal-inscrits sur les listes électorales), le budget participatif peut devenir un formidable « outil d’éducation populaire » pour « comprendre les enjeux locaux, les contraintes pesant sur une municipalité, mesurer le coût d’un équipement public et apprendre les règles publiques locales », souligne Tania Assouline. Il constitue une « petite révolution » pour les administrations locales, contraintes de sortir de leur cloisonnement et de « s’adapter à une nouvelle temporalité », ajoute Pauline Véron, adjointe à la maire de Paris.

Utiles pour émanciper les individus, les budgets participatifs seront indispensables pour répondre collectivement au défi climatique, prédit Pascal Clouaire, élu de Grenoble. « La transition écologique va nous imposer des changements drastiques, brutaux et importants, et on sait très bien que, pour y parvenir de façon efficace, il faut que les citoyens participent eux-mêmes à la décision. »

Patrice Bessac, maire PCF de Montreuil, y voit surtout une réponse aux tentations autoritaires, qu’on voit monter partout dans le monde et, récemment, au Brésil. « Je crois qu’il y a eu progrès de notre capacité collective à comprendre les enjeux de notre temps, mais il n’y a pas eu le saut de qualité en matière d’organisation institutionnelle, démocratique et économique. » Or, c’est bien « en raison de l’absence de changement en matière de participation de tous aux affaires de la cité qu’il y a des retours en arrière et des graves régressions ». Il est donc urgent, politiquement, de « s’affranchir d’un système politique et institutionnel, né à la fin du XIXe siècle, et très vertical ».

C’est une des raisons pour lesquelles ces « villes participatives » comptent s’organiser de façon pérenne, en réseau national. Car les budgets participatifs, malgré l’engouement qu’ils suscitent, font face à plusieurs menaces. Leur développement est percuté, sur le terrain, par les contraintes  financières qui s’abattent sur les collectivités, notamment liées à la contractualisation imposéée par l’état. « Pourquoi ces discussions ne favoriseraient-elles pas les villes mettant en œuvre des outils participatifs ? » propose ainsi Jean-Marie Goater, adjoint écologiste de la maire de Rennes. D’autres évolutions légales pourraient être promues pour sécuriser ces nouvelles formes de démocratie participative, notamment à l’approche d’une réforme constitutionnelle. Car, sur le terrain, c’est tout l’inverse qui se passe. À Grenoble, c’est le préfet qui a fait annuler en justice un dispositif d’interpellation et de votation citoyennes. Motif ? Des citoyens non inscrits sur les listes électorales pouvaient directement influer sur l’ordre du jour du conseil municipal…

Par Pierre Duquesne (publié le 12/11/2018)
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