C'est possible : une entreprise lyonnaise propose la semaine de 32 heures
Spécialisé dans la vente en ligne de matériel informatique, le groupe LDLC compte passer à une semaine de quatre jours sans baisse de salaire, en misant sur le fait que ses salariés n'en seront que plus productifs.

On croirait lire de la science-fiction en découvrant sur Facebook cette phrase enthousiaste signée du syndicat CGT du groupe lyonnais LDLC, spécialisé dans la vente en ligne de matériel informatique (Materiel.net, Top Achat, Hardware.fr...) : «Que dire des annonces faites hier par la direction du groupe, simplement BRAVO.» Les annonces en question ont en effet de quoi réjouir tout le monde, au moment où le président de la République parle de «travailler davantage» et où les syndicats craignent que les salariés ne payent, par encore plus de sueur et de larmes, le prix d’une crise dont ils ne sont pas responsables : fin juin, le PDG de LDLC, Laurent de la Clergerie, a annoncé aux organisations syndicales que son groupe, qui emploie quelque 1 000 personnes, allait passer à la semaine de 32 heures, réparties en quatre journées de huit heures.

«On n’a même pas eu à négocier, il est arrivé directement avec cette annonce», raconte une cégétiste de l’entreprise à Libération, en ayant presque l’air de trouver la chose trop belle pour être vraie – il faudra attendre la signature d’un accord, censée avoir lieu dans les prochains mois, pour s’assurer qu’elle l’est. Laurent de la Clergerie l’assure : sa décision n’est pas liée au Covid-19. «L’origine de cette décision, c’est un reportage que j’avais vu sur Microsoft au Japon, qui a testé la semaine de quatre jours pendant le mois d’août, il y a quelques années, avec un retour ultra positif», a-t-il expliqué à BFM Business.

La CGT évoque aussi une expérience menée durant les dernières canicules, où les salariés ont bénéficié d’une heure de travail en moins chaque jour, sans que cela ait pour autant affecté les performances de l’entreprise. Mais le contexte pandémique a sans doute aidé le patron à franchir le pas : il faisait bon vendre du matériel informatique sur Internet au moment où de nombreux salariés, contraints au télétravail, devaient améliorer leur équipement, voire s’en constituer un. La valeur de l’action de LDLC a d’ailleurs triplé depuis un an.
«Tout le monde en sort gagnant»

«Quand je fais mes calculs, je pense qu’à la fin tout le monde est content et que tout le monde en sort gagnant», a encore expliqué Laurent de la Clergerie à l’AFP. En bon patron, il fait un raisonnement simple : des salariés qui sont plus heureux sont aussi plus productifs. D’autant que ces 32 heures ne souffrent a priori d’aucune contrepartie : selon la CGT, les salaires doivent augmenter de 2,5% cette année et devraient aussi grimper en 2021, le salaire minimum doit être fixé à 1 770 euros brut (soit 15% au-dessus du smic). Et, a promis au Progrès le PDG, des embauches accompagneront cette nouvelle organisation.

Ardemment défendue au niveau national par le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, l’idée d’une semaine de 32 heures, qui permettrait selon ses défenseurs de lutter contre le chômage en répartissant l’emploi, est généralement regardée avec dédain. En 2015, quand la ministre de la Justice Christiane Taubira avait rêvé à voix haute «d’un monde où l’on pourrait travailler 32 heures par semaine, pour avoir du temps à consacrer aux autres, à lire des livres, à aller au théâtre», le Premier ministre Manuel Valls, pris d’un réflexe pavlovien, avait aussitôt réagi : «Ce que veulent les Français aujourd’hui, c’est du boulot.»

Défendue dans de rares programmes politiques (EE-LV à la présidentielle de 2012), l’idée n’apparaissait pourtant pas absurde, dans les années 90, à un esprit aussi libéral que celui de Gilles de Robien : le député de la Somme avait été à l’origine, en 1996, d’un dispositif permettant à des entreprises de bénéficier d’exemptions fiscales en passant à la semaine de quatre jours, à condition d’embaucher au moins 10% de salariés en CDI. Quelques rares sociétés, comme Fleury Michon ou Mamie Nova, en profitèrent (et en profitent encore pour certaines) avant que la loi sur les 35 heures ne rende le dispositif caduc.

Par Frantz Durupt (publié le 02/07/2020)
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