Bukina Faso : procès de l'assassinat de Thomas Sankara : une condamnation historique
 Retour sur le procès de l'assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons

Le procès de l'assassinat de Thomas Sankara et de ses compagnons s'est terminé par un lourd verdict pour les principaux accusés. Un procès à bien des égards exemplaire compte tenu des nombreux obstacles pour en éviter la tenue. Mais l'affaire n'est pas terminée. L'enquête sur le volet international se poursuit qui va se heurter en France au secret défense
Bruno Jaffré.

Mercredi 6 avril. Le verdict est tombé. Devant l’immense salle comble, cette fois, de la salle des banquets. La justice est dite. Certains inculpés sont acquittés. Les plus importants, Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, en fuite, mais aussi Gilbert Diendéré, incarcéré depuis sa condamnation pour le putsch de septembre 2015, présent tout au long du procès, sont condamnés à perpétuité, pour attentat à la sûreté de l’Etat et assassinat. Un verdict plus lourd que ce qu’avait demandé le parquet ; 30 ans de prison pour les deux premiers et 20 ans pour le troisième ! « La peine est en fait moins sévère que celle des réquisitoires », aiment à dire des Burkinabè avec humour, faisant allusion à la durée de vie de Blaise Compaoré dont la santé ne serait pas au mieux.

Jean Pierre Palm, chef de la gendarmerie après le 15 octobre 1987 a écopé de 10 ans de prison ferme, pour complicité d’attentat à la sureté de l’Etat, alors que le parquet ne demandait que 11 ans avec sursis. On trouvera le reste de verdict à la fin de l’article.

Une salve d’applaudissements accueille l’énoncé du verdict. Les familles des victimes présentes sur les lieux, les avocats de la partie civile laissent éclater leur joie. En une ultime provocation, Gilbert Diendéré quitte la salle saluant les deux mains en l’air ses partisans. Le signal est donné. Présents en nombre, ils se mettent à scander « Libérer Diendéré ». Des échauffourées éclatent avec des membres des familles de victime. La police est obligée d’intervenir. Quelques dizaine de jeunes voulant se rendre en procession jusqu’au site du Mémorial Thomas Sankara vont devoir être escortés par les forces de l’ordre.

Fin du premier épisode du procès… En attente de savoir si les avocats de la défense feront appel.

“Il est peu probable que Blaise Compaoré soit un jour extradé de Côte d’Ivoire. Avec Alassane Ouattara nous avons là deux vestiges de la Françafrique qui sont solidaires.” explique Bruno Jaffré, biographe de Thomas Sankara.

Un procès quasi exemplaire, une première

Annoncé pour le 11 octobre, la première séance du procès permet de constituer le jury. Un civil Me Urbain Méda est choisi comme président. Les assesseurs sont tous militaires. Des avocats commis d’office demandaient un mois afin de consulter le dossier. Ils n’auront que deux semaines. Report pour le 25 octobre.

Douze personnes ont été assassinées le 15 octobre 1987 dans les locaux du Conseil de l’Entente : Thomas Sankara, 5 collaborateurs, Bonaventure Compaoré, Christophe Saba, secrétaire permanent du Conseil national de la Révolution, Frédéric Kiemdé, conseiller juridique à la présidence, Patrice Zagré, professeur de philosophie, Paulin Babou Bamouni, directeur de la presse présidentielle, 5 gardes du corps Abdoulaye Gouem, Emmanuel Bationo, Hamado Sawadogo, Noufou Sawadogo, Wallilaye Ouédraogo, mais aussi Paténéma Soré, gendarme, et Der Somda le chauffeur de Thomas Sankara. Le lieutenant Michel Koama, proche de Thomas Sankara sera exécuté chez lui.

Les accusés sont au nombre de 14 ; les médecins ayant signé un faux certificat de décès mentionnant « mort de mort naturel », les organisateurs du complot cités plus haut, les membres du commando et des militaires présents sur les lieux.

La lenteur du procès a déjoué tous les pronostics qui prévoyaient la fin avant la nouvelle année. L’audition des accusés a duré jusqu’à la mi-novembre, celle du principal accusé Gilbert Diendéré prenant trois jours. Puis ce fut au tour des témoins d’être interrogés. Plus de 110, d’origines diverses, soldats ou gendarmes, amis, collaborateurs, proches conseillers de Thomas Sankara. Sans compter ceux qui seront ajoutés à la fin. Parfois des confrontations suivaient immédiatement les interrogatoires des accusés ou des témoins, quand le juge l'estimait nécessaire ou lorsque des avocats le demandaient. Enfin après les plaidoiries de la défense, les accusés ont eu tout le loisir de prendre la parole.

Le rythme va s’accélérer à la mi-décembre, alors que moins de la moitié des témoins avaient été appelés jusqu’ici. De nombreux proches de Thomas Sankara, vont raconter des anecdotes inédites, ou peu connues. Beaucoup vont évoquer le complot extérieur, rapporter des faits et gestes, des confidences entendues. Ils confirmaient en général l’ambiance délétère de l’époque, les conflits politiques ou de personnes à la direction de la Révolution, leur tentative de convaincre le Président Sankara de prendre des dispositions pour ne pas se laisser assassiner.

C’est dire qu’il ne s’agit pas d’une « parodie » comme l’a déclaré Maitre Kohiho, avocat de Jean Pierre Palm, qui ne s’est fait remarquer que par ses outrances. Il emboitait là la stratégie de Me Pierre-Olivier Sur, avocat de Blaise Compaoré évoquant, « un simulacre de procès, un procès politique », auquel il n’a pourtant pas assisté, mais aussi de son petit frère François Compaoré.

Ce dernier est soupçonné d’être le commanditaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998. Réfugié en France, la justice burkinabè veut l’entendre sur cette affaire.  Au cours de la longue procédure pour son extradition que la France a fini par valider, il n’a cessé d’exprimer son mépris pour le Burkina. Ainsi s’était-il permis de déclarer que « François Compaoré serait découpé en rondelles s’il venait à être extradé » ! Et à l’ouverture du procès de l’assassinat de Thomas Sankara, il se répandait encore sur les ondes affirmant la justice burkinabè incapable d’organiser un tel procès, raillant que le procès se tienne dans une salle « des banquets ». Une salle immense, choisie justement et à dessein, pour accueillir plusieurs centaines de personnes, et la sécuriser dans de bonne condition.

Les avocats des parties civiles qui représentaient au procès des familles des victimes, ont veillé tout au long du procès à éviter tout mauvais pas qui pourrait mettre en cause la légalité du procès. Par exemple, ce sont eux qui ont demandé le report du procès le 31 janvier dernier, en attendant que la constitution, suspendue après le coup d’État du 24 janvier, soit pas rétablie.  Ce sera fait le 1er février. Le procès reprendra donc le 2 février.

Mais ce long procès, malgré toutes les difficultés rencontrées, énumérées plus loin a permis de nombreuses révélations, et surtout de reconstituer le fil des évènements. Le commando est parti du domicile de Blaise Compaoré, dans deux voitures dont l’une lui appartenait. Il s’est posté sur les lieux, le Conseil de l’Entente, avant que Thomas Sankara n’arrive et s’installe pour une réunion. Alors qu’il sortait les mains en l’air, sous l’injonction du commando, il fut fauché le premier de plusieurs balles, sans sommation. Puis ce fut au tour des personnes qui étaient réunies avec lui. Gilbert Diendéré qui a tenté de nier sa présence sur les lieux, pourtant confirmée par de nombreux témoins, donnait les ordres.  Il envoyait des militaires sécuriser la ville, accueillir des renforts venus de Po, la garnison des commandos qu’il dirigeait, ou prendre le contrôle des casernes qui auraient pu réagir...

Par Bruno Jaffré (publié le 14/04/2022)
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