Belgique. La Communauté germanophone se dote d’une assemblée citoyenne
C’est une première en Belgique : une assemblée citoyenne sera installée à l’automne en Communauté germanophone. Elle fonctionnera en permanence aux côtés du parlement. Ses membres seront tirés au sort.

C’est le Jour J pour les germanophones. Ce lundi, le parlement de la troisième Communauté du pays est entré dans l’Histoire de la démocratie belge. Eupen, en effet, s’apprête à voter un décret inédit qui donne naissance à une assemblée supplémentaire en son sein, composée de citoyens tirés au sort. Le fruit d’un long travail mené avec l’équipe du G1000. Cette chambre de réflexion nourrie par la société civile sera mise en place à l’automne, après l’installation du nouveau parlement issu des élections régionales du 26 mai.

« Il s’agit d’un système permanent de consultation des citoyens, basé sur le tirage au sort », résume Yves Dejaeghere, coordinateur du G1000. Le système se décline en trois axes.

Un conseil citoyen. Il y a d’abord un conseil citoyen, composé de 24 citoyens désignés au hasard. Ceux-ci siègent durant 18 mois, à côté du parlement germanophone élu. Leur mission consiste à identifier les thèmes qui vont être abordés et d’établir l’agenda des discussions. Ce sont eux également qui fixent la durée des travaux pour chaque thème, ainsi que le nombre de panellistes (entre 25 et 50). « Le greffier du parlement germanophone et l’ombudsman seront membres également de ce conseil, à titre d’observateurs, précise Yves Dejaeghere. Enfin, le conseil citoyen assure le suivi des recommandations de l’assemblée auprès du parlement élu.

Une assemblée citoyenne. Le rouage central de ce nouveau mécanisme démocratique, c’est l’assemblée citoyenne, la Bürgerversammlungen , qui se saisira des thèmes fixés par le conseil citoyen pour en débattre durant une courte durée et émettre des recommandations à destination du parlement germanophone élu. Cette assemblée nouvelle s’assimile à un panel : le choix de ses membres relèvera d’un tirage au sort pondéré par des critères de genres (parité), d’âge (16 ans minimum) ou de niveau d’éducation. « Ces citoyens seront rémunérés en fonction de la durée de leur travail », ajoute le coordinateur du G1000. Un « cachet » qui devrait tourner autour de 37,50 euros par demi-journée. « L e parlement s’engage, si un thème recueille une certaine quantité de votes, à se saisir du sujet et, s’il ne suit pas les recommandations citoyennes, à fournir une justification motivée. »

Le secrétariat permanent. Enfin, un secrétariat permanent – une personne appartenant au personnel du parlement germanophone élu – sera installé. Il préparera les réunions et invitera les experts tout en veillant au respect des procédures, en collaboration avec le conseil citoyen.

Un panel international d’experts à Eupen

Ce décret innovant est l’aboutissement d’un long travail en coulisses. « Les contacts remontent à une année environ, explique Yves Dejaeghere. Avec des membres du gouvernement germanophone mais aussi les représentants des différents partis politiques, afin de bien ressentir comment ils percevaient ce projet ».

Treize experts internationaux se sont également retrouvés en juillet dernier à Eupen pour débattre de ce modèle. Parmi eux, le Professeur David Farrell, architecte des panels irlandais, ou encore le Docteur Marcin Gerwin, qui a conçu les processus à Gdansk. On trouvait également David Van Reybrouck (le « père » belge du tirage au sort citoyen), le politologue Min Reuchamps (UCL) et Benoît Derenne (directeur de la Fondation pour les générations futures). « A l’automne dernier, on a présenté un modèle au bureau du parlement de la Communauté, achève-t-il. Et eux ont décidé à quel point ils souhaitaient mettre ce modèle en œuvre. »

Le modèle le plus abouti

Deux contributeurs qui, aujourd’hui, se réjouissent de cette avancée. « C’est une primeur mondiale, se félicite David Van Reybrouck. Avec cette avancée, la Communauté germanophone devient un laboratoire pour le reste de l’Europe. Avec ses 76.000 habitants, c’est une des plus petites régions, mais elle dispose des pouvoirs qu’ont la Rhénanie-du-Nord – Westphalie, la Catalogne et l’Ecosse. Montrons à l’Europe ce qui se passe à Eupen. »

Le même enthousiasme anime Benoît Derenne : « Cette avancée en matière de démocratie délibérative est une étape cruciale du renouveau démocratique. Ce modèle de dialogue permanent entre citoyens et politiques est à ce jour parmi les plus aboutis du fait de son imbrication dans le système politique. Et ce n’est qu’une étape, car le résultat du travail des citoyens non-élus et les réponses des politiques feront évoluer le regard des uns sur les autres et donc le rapport entre eux. La citoyenneté en Ostbelgien pourrait en être transformée, ré-enchantée. C’est notre vœu le plus cher. »

Ce « Ostbelgien Model », « nous sommes convaincus qu’il va être observé de l’étranger par ceux qui s’intéressent à l’innovation démocratique », conclut Yves Dejaeghere. Et qui sait, gagner d’autres pièces de la maison fédérale belge ?

L’exemple de Gdansk

A l’été 2016, la ville de Gdansk en Pologne a subi d’importantes inondations, en raison de fortes averses. Dans la foulée d’un débat sur les changements climatiques et leurs conséquences, une forte mobilisation est née pour réclamer la création d’une assemblée citoyenne. La revendication a été affinée et portée avec succès par l’expert Marcin Gerwin. Composée de 63 habitants sélectionnés afin de représenter la diversité démographique de la ville, l’assemblée a pour objectif d’écouter le témoignage des experts et des parties prenantes concernées par un problème particulier et de mettre en avant des pistes de solution. Ainsi, toute suggestion qui remporte plus de 80 % d’avis favorables au sein de l’assemblée devient une décision obligatoire, que la municipalité doit mettre en œuvre. Une petite révolution.

Par Pascal Lorent

Lire sur le site du Soir (25/02/2019)