11 Juin 2019
Une filiale d’Axa a récemment confirmé son retrait de l’actionariat d’Elbit Systems, une entreprise israélienne fabriquant des armes utilisées contre les Palestiniens, notamment des bombes au phosphore blanc. Une victoire pour l’ONG SumOfUs et la campagne Boycott désinvestissement sanction (BDS), qui appellent la compagnie d’assurance à mettre aussi un terme à ses liens avec les banques accusées de financer la colonisation. D’autres actions de boycott, y compris d’événements culturels, sont prévues, le tout dans un contexte où Benyamin Netanyahou envisage sans être inquiété l’annexion des colonies.
L’information a été révélée le 17 avril : Axa Investment Manager (Axa-IM), une filiale du groupe d’assurance français a cédé, fin 2018, l’ensemble de ses parts détenues dans le capital du fabriquant d’arme israélien Elbit Systems. Dans un communiqué de presse, l’ONG SumOfUs, fondée aux États-Unis et qui entend jouer un rôle de « contre-pouvoir » face aux grandes entreprises et aux multinationales, et la coalition Stop Axa assistance to Israeli apartheid « se félicitent » de cette décision survenue « suite à une année de campagne de pression citoyenne contre l’assureur français ».
Lancée en avril 2018 par SumOfUs, la pétition appelant Axa à « cesser de faire du profit sur la colonisation en Palestine » a été signé par plus de 140 000 personnes. Elle rappelle notamment que Elbit Systems produit et vend des armes à sous-munitions et des obus au phosphore blanc, utilisés à plusieurs reprises par l’armée israélienne lors de ses offensives dans la bande de Gaza.
« Se désengager de l’apartheid israélien »
Interrogé par Bastamag, le groupe Axa assure déployer « une des politiques d’investissement responsable les plus complètes et les plus avancées du secteur financier ». Et affirme que « dans le cadre de (sa) politique dédiée aux armes controversées », il a « pris la décision de désinvestir d’Elbit Systems lorsqu’ils ont acquis une société qui produit des armes à sous-munitions ». Le groupe ne reconnaît pas pour autant que ce désinvestissement est dû aux pressions de la campagne : un simple « groupe d’activistes » faisant « circuler des affirmations parcellaires voire mensongères », selon Axa.
Mais la coalition, qui réunit des comités de la campagne Boycott désinvestissement sanctions (BDS), qui cible la politique d’occupation menée par l’État israélien, et SumOfUs, n’entendent pas se laisser voler ce qu’elles considèrent comme une première victoire et poussent Axa à aller plus loin. Le 24 avril, une cinquantaine de personnes se sont ainsi rassemblées devant le palais des congrès à Paris où se tenait l’assemblée générale annuelle du groupe pour lui demander de « se désengager de l’apartheid israélien ».
Actionnaire des banques qui financent la colonisation
Si Axa-IM s’est bien débarrassée de ses parts dans Elbit Systems, il reste investit dans au moins trois banques israéliennes, qui « constituent l’épine dorsale des colonies de peuplement illégales par le biais des services financiers qu’elles fournissent », dénonce la campagne. Axa rétorque que ses « investissements dans les banques israéliennes n’ont absolument pas vocation à financer l’extension des territoires occupés ». Sauf que la réalité de l’implication des banques israéliennes dans la colonisation a été mise en exergue en mars 2017 dans un rapport intitulé « Les liaisons dangereuses des banques françaises avec la colonisation israélienne », réalisé par huit organisations [1] (voir notre article).
Ce schéma est également documenté avec précision dans un autre rapport publié en 2017 par l’ONG Who Profits qui travaille sur « l’industrie de l’occupation israélienne ». Dans le cas d’Axa-IM, les banques concernées sont Bank Hapoalim, Bank Leumi et Mizrahi Tefahot Bank. Par ailleurs, l’investissement d’Axa au sein d’acteurs de l’économie israélienne impliqués dans l’occupation passe aussi par Alliance Bernstein, une holding d’investissements au sein de laquelle Axa n’a plus la majorité du capital, mais où le groupe reste présent, avec 31% de parts encore détenues selon SumOfUs (contre 65 % auparavant). La holding reste quant à elle liée à Elbit Systems, et à certaines banques israéliennes.
« Ils prétendaient que nous mentions, tout en faisant savoir que leurs investissements étaient minimes »
Axa n’est pas la seule entreprise française impliquée directement ou indirectement dans l’économie de l’occupation israélienne. « Leur double implication dans les banques et dans Elbit Systems nous a cependant paru assez grave en terme de complicité pour que l’on mène une campagne, résume Imen Habib, animatrice de la campagne BDS France. Nous avons aussi été indignés par leurs réponses à nos interpellations. Ils prétendaient d’un côté que nous mentions tout en faisant savoir que leurs investissements étaient minimes, ce qui est pour le moins contradictoire... Par ailleurs, ils nous ont d’abord expliqué que Elbit Systems ne rentrait pas dans leurs critères d’armes controversées. Or, Elbit Systems fabrique du phosphore blanc, utilisé par l’armée israélienne. En 2019, il n’est pas possible de nier cela. »
Autre difficulté : la grande complexité des organigrammes des multinationales. « Durant cette campagne, il a souvent été difficile de faire la part des choses dans les filiales d’Axa, ajoute Leyla Larbi, chargée de campagne de SumOfUs. Ils en ont beaucoup, et répondent sans cesse que ce n’est pas eux... On sait ce que l’on fait, on vérifie toutes nos données, mais ils démentent avec une telle assurance que cela peut parfois être déstabilisant. »
Volonté d’annexion des colonies, pourtant illégales en droit international
En Israël, après la victoire du Likoud aux élections législatives du 9 avril, Benyamin Netanyahu s’apprête à former un nouveau gouvernement. Ce sera son 5ème mandat à la tête du pays. Actuellement sous la menace d’inculpation pour des faits de corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires distinctes, le bientôt septuagénaire a franchit un nouveau seuil durant la campagne électorale en faisant part de sa volonté d’annexer les colonies implantées en Cisjordanie. Une perspective bafouant totalement le droit international, au regard duquel toutes les implantations depuis 1967 sont illégales, mais qui ne lui valu aucune remontrance de la part de ses amis de la scène internationale, tels le nord-américain Donald Trump, le brésilien Jair Bolsonaro ou le hongrois Victor Orban.
« Aujourd’hui, on assiste à une alliance forte entre les différentes extrême-droites mondiales et Benyamin Netanyahou en est l’un des leaders, rappelle Imen Habib. Tout comme la loi « État nation » votée en Israël en juillet 2018, (qui consacre Israël comme « l’État-nation du peuple juif » et ne reconnaît le droit à l’autodétermination qu’aux juifs-israéliens, ndlr),cela éclaire de façon nette la nature profonde du régime israélien d’apartheid. Notre légitimité et celle de notre action en sont renforcées : on est plus que jamais déterminé à continuer nos campagnes. »
Actions de boycott culturel
Dans les mois à venir, BDS annonce poursuivre la campagne sur le désinvestissement d’Axa et en enclencher une autre sur le boycott de la marque Puma, « pour qu’ils mettent fin au sponsoring des équipes de foot des colonies israéliennes ». Une journée d’action internationale à cet effet est prévue le 15 juin. D’ici là, deux évènements sont ciblés : le festival Eurovision qui aura lieu du 14 au 18 mai à Tel Aviv et autour duquel BDS se mobilise depuis déjà quelques mois, puis le Festival international de films LGBT de Tel Aviv (TLVFest), qui se tiendra dans la capitale israélienne du 6 au 15 juin.
Comme l’ont démontré Eyal Sivan et Armelle Laborie [2] et plus encore Jean Stern [3], Israël a fabriqué ces dernières années une image « gay friendly » de Tel Aviv. La capitale israélienne devenant ainsi la pièce maîtresse d’une entreprise de pinkwashing qui laisse songeur, quand on sait les fondations sexistes, homophobes et virilistes des dirigeants actuels du pays... Après le désinvestissement un retour, donc, aux actions de boycott culturel. En attendant que sur la scène internationale, les sanctions politiques du gouvernement israélien reviennent dans l’agenda des dirigeants de la planète.
Par Emmanuel Riondé (publié le 14/05/2019)
A lire sur le site Observatoire des multinationales
L’information a été révélée le 17 avril : Axa Investment Manager (Axa-IM), une filiale du groupe d’assurance français a cédé, fin 2018, l’ensemble de ses parts détenues dans le capital du fabriquant d’arme israélien Elbit Systems. Dans un communiqué de presse, l’ONG SumOfUs, fondée aux États-Unis et qui entend jouer un rôle de « contre-pouvoir » face aux grandes entreprises et aux multinationales, et la coalition Stop Axa assistance to Israeli apartheid « se félicitent » de cette décision survenue « suite à une année de campagne de pression citoyenne contre l’assureur français ».
Lancée en avril 2018 par SumOfUs, la pétition appelant Axa à « cesser de faire du profit sur la colonisation en Palestine » a été signé par plus de 140 000 personnes. Elle rappelle notamment que Elbit Systems produit et vend des armes à sous-munitions et des obus au phosphore blanc, utilisés à plusieurs reprises par l’armée israélienne lors de ses offensives dans la bande de Gaza.
« Se désengager de l’apartheid israélien »
Interrogé par Bastamag, le groupe Axa assure déployer « une des politiques d’investissement responsable les plus complètes et les plus avancées du secteur financier ». Et affirme que « dans le cadre de (sa) politique dédiée aux armes controversées », il a « pris la décision de désinvestir d’Elbit Systems lorsqu’ils ont acquis une société qui produit des armes à sous-munitions ». Le groupe ne reconnaît pas pour autant que ce désinvestissement est dû aux pressions de la campagne : un simple « groupe d’activistes » faisant « circuler des affirmations parcellaires voire mensongères », selon Axa.
Mais la coalition, qui réunit des comités de la campagne Boycott désinvestissement sanctions (BDS), qui cible la politique d’occupation menée par l’État israélien, et SumOfUs, n’entendent pas se laisser voler ce qu’elles considèrent comme une première victoire et poussent Axa à aller plus loin. Le 24 avril, une cinquantaine de personnes se sont ainsi rassemblées devant le palais des congrès à Paris où se tenait l’assemblée générale annuelle du groupe pour lui demander de « se désengager de l’apartheid israélien ».
Actionnaire des banques qui financent la colonisation
Si Axa-IM s’est bien débarrassée de ses parts dans Elbit Systems, il reste investit dans au moins trois banques israéliennes, qui « constituent l’épine dorsale des colonies de peuplement illégales par le biais des services financiers qu’elles fournissent », dénonce la campagne. Axa rétorque que ses « investissements dans les banques israéliennes n’ont absolument pas vocation à financer l’extension des territoires occupés ». Sauf que la réalité de l’implication des banques israéliennes dans la colonisation a été mise en exergue en mars 2017 dans un rapport intitulé « Les liaisons dangereuses des banques françaises avec la colonisation israélienne », réalisé par huit organisations [1] (voir notre article).
Ce schéma est également documenté avec précision dans un autre rapport publié en 2017 par l’ONG Who Profits qui travaille sur « l’industrie de l’occupation israélienne ». Dans le cas d’Axa-IM, les banques concernées sont Bank Hapoalim, Bank Leumi et Mizrahi Tefahot Bank. Par ailleurs, l’investissement d’Axa au sein d’acteurs de l’économie israélienne impliqués dans l’occupation passe aussi par Alliance Bernstein, une holding d’investissements au sein de laquelle Axa n’a plus la majorité du capital, mais où le groupe reste présent, avec 31% de parts encore détenues selon SumOfUs (contre 65 % auparavant). La holding reste quant à elle liée à Elbit Systems, et à certaines banques israéliennes.
« Ils prétendaient que nous mentions, tout en faisant savoir que leurs investissements étaient minimes »
Axa n’est pas la seule entreprise française impliquée directement ou indirectement dans l’économie de l’occupation israélienne. « Leur double implication dans les banques et dans Elbit Systems nous a cependant paru assez grave en terme de complicité pour que l’on mène une campagne, résume Imen Habib, animatrice de la campagne BDS France. Nous avons aussi été indignés par leurs réponses à nos interpellations. Ils prétendaient d’un côté que nous mentions tout en faisant savoir que leurs investissements étaient minimes, ce qui est pour le moins contradictoire... Par ailleurs, ils nous ont d’abord expliqué que Elbit Systems ne rentrait pas dans leurs critères d’armes controversées. Or, Elbit Systems fabrique du phosphore blanc, utilisé par l’armée israélienne. En 2019, il n’est pas possible de nier cela. »
Autre difficulté : la grande complexité des organigrammes des multinationales. « Durant cette campagne, il a souvent été difficile de faire la part des choses dans les filiales d’Axa, ajoute Leyla Larbi, chargée de campagne de SumOfUs. Ils en ont beaucoup, et répondent sans cesse que ce n’est pas eux... On sait ce que l’on fait, on vérifie toutes nos données, mais ils démentent avec une telle assurance que cela peut parfois être déstabilisant. »
Volonté d’annexion des colonies, pourtant illégales en droit international
En Israël, après la victoire du Likoud aux élections législatives du 9 avril, Benyamin Netanyahu s’apprête à former un nouveau gouvernement. Ce sera son 5ème mandat à la tête du pays. Actuellement sous la menace d’inculpation pour des faits de corruption, fraude et abus de confiance dans trois affaires distinctes, le bientôt septuagénaire a franchit un nouveau seuil durant la campagne électorale en faisant part de sa volonté d’annexer les colonies implantées en Cisjordanie. Une perspective bafouant totalement le droit international, au regard duquel toutes les implantations depuis 1967 sont illégales, mais qui ne lui valu aucune remontrance de la part de ses amis de la scène internationale, tels le nord-américain Donald Trump, le brésilien Jair Bolsonaro ou le hongrois Victor Orban.
« Aujourd’hui, on assiste à une alliance forte entre les différentes extrême-droites mondiales et Benyamin Netanyahou en est l’un des leaders, rappelle Imen Habib. Tout comme la loi « État nation » votée en Israël en juillet 2018, (qui consacre Israël comme « l’État-nation du peuple juif » et ne reconnaît le droit à l’autodétermination qu’aux juifs-israéliens, ndlr),cela éclaire de façon nette la nature profonde du régime israélien d’apartheid. Notre légitimité et celle de notre action en sont renforcées : on est plus que jamais déterminé à continuer nos campagnes. »
Actions de boycott culturel
Dans les mois à venir, BDS annonce poursuivre la campagne sur le désinvestissement d’Axa et en enclencher une autre sur le boycott de la marque Puma, « pour qu’ils mettent fin au sponsoring des équipes de foot des colonies israéliennes ». Une journée d’action internationale à cet effet est prévue le 15 juin. D’ici là, deux évènements sont ciblés : le festival Eurovision qui aura lieu du 14 au 18 mai à Tel Aviv et autour duquel BDS se mobilise depuis déjà quelques mois, puis le Festival international de films LGBT de Tel Aviv (TLVFest), qui se tiendra dans la capitale israélienne du 6 au 15 juin.
Comme l’ont démontré Eyal Sivan et Armelle Laborie [2] et plus encore Jean Stern [3], Israël a fabriqué ces dernières années une image « gay friendly » de Tel Aviv. La capitale israélienne devenant ainsi la pièce maîtresse d’une entreprise de pinkwashing qui laisse songeur, quand on sait les fondations sexistes, homophobes et virilistes des dirigeants actuels du pays... Après le désinvestissement un retour, donc, aux actions de boycott culturel. En attendant que sur la scène internationale, les sanctions politiques du gouvernement israélien reviennent dans l’agenda des dirigeants de la planète.
Par Emmanuel Riondé (publié le 14/05/2019)
A lire sur le site Observatoire des multinationales