07 Sept 2016
«La première fois que mes amis m’ont vu fouiller dans une poubelle, ils ont cru que je devenais fou, se souvient hilare, Robert Tedonfo. Ils ont couru avertir ma tante qui est venue, pagne noué aux hanches, vérifier de ses propres yeux.» Patiemment, le jeune homme âgé de 26 ans, tente alors de lui expliquer ce qu’il fait : collecter des emballages et des bouteilles plastiques dans les poubelles de Yaoundé, capitale du Cameroun, pour en faire des pavés «écolos», utiles pour la construction de routes et de maisons.
«Je l’ai même invitée à venir au laboratoire lui prouver que je n’étais pas entrer dans une secte comme elle le pensait», poursuit Robert, casquette vissée sur la tête et gants jaunes usés enfilés aux doigts. Ce jeudi, le «laboratoire», un hangar du quartier Essos de Yaoundé, couvert par des tôles ondulées et ouvert aux quatre vents, est en activité. Une cuve métallique chauffe sur un feu de bois. Des sacs d’emballages et des bouteilles en plastique sont posés à côté.
Moins de 61 microns
Avec une durée de dégradation estimée entre 500 et 1 000 ans, les déchets plastiques constituent selon des statistiques, 10 % des six millions de tonnes d’ordures produites chaque jour sur le territoire camerounais. Depuis avril 2014, le gouvernement a interdit la fabrication, l’importation, la commercialisation et l’utilisation des emballages plastiques non-biodégradables de moins de 61 microns sur l’ensemble du territoire national. Plusieurs centaines de tonnes ont ainsi été saisies depuis l’interdiction.
Malgré la mise en place des brigades opérationnelles chargées de saisir ces emballages non conformes et d’interpeller les fautifs, la contrebande alimente le marché noir. Sans plan de recyclage, le gouvernement peine à trouver des solutions. Cependant, quelques jeunes comme Robert tentent «de dépolluer leur environnement».
Au «laboratoire», le jeune homme a été rejoint par «son unique collègue qui est resté.» Elvis Kwambissa est un enfant de la rue qui «rêve de faire du recyclage des déchets plastiques, un vrai boulot». En un an, les deux jeunes hommes, venus en tant que stagiaires, avec une vingtaine d’autres, sont les seuls qui poursuivent l’aventure au sein de cette fabrique mise sur pied par la fondation «Cœur d’Afrique», de l’ancien international camerounais, Roger Milla, pour aider les jeunes défavorisés à apprendre un métier.
«C’est l’heure des bouteilles»
Dans une cuve chauffée à plus de 200 degrés et alimentée par un feu de bois, ils déversent des emballages plastiques. Armés de malaxeurs et protégés de l’odeur toxique par des cache-nez, ils remuent le mélange jusqu’à l’obtention d’une pâte homogène d’où émergent des flammes. «C’est l’heure des bouteilles», lance Robert, le visage dégoulinant de sueur. Docile, Elvis s’exécute. Et les bouteilles disparaissent dans les flammes.
Puis, Elvis court vers un autre hangar, plus petit que le «laboratoire», pour ramasser du sable qu’il tamise. Trois seaux de cinq litres sont versés dans la cuve. Une fois de plus, Elvis et Robert, suent à grosses gouttes et remuent. Quinze minutes plus tard, tout est prêt. Au fur et à mesure, la pâte est versée dans un moule qui donne progressivement leur forme aux pavés «écolos».
D’après des résultats du laboratoire du génie civil camerounais, ces pavés sont trois fois plus résistants que ceux qui sont faits à base de ciment : ils peuvent supporter jusqu’à 50,5 tonnes de charge. «Les autres ne supportent qu’entre six et douze tonnes, assure Pierre Kamsouloum, consultant formateur en technique de recyclage des déchets plastiques et directeur technique de la fondation Cœur d’Afrique, qui observe avec satisfaction le travail de ses protégés. Le prix du mètre cube de nos pavés, qui comprend entre 26 et 33 pavés, varie entre 4.000 et 4.500 FCFA [environ 6,5 euros] au lieu de 5.000 à 25.000 [jusqu’à 38 euros] comme les autres.»
«Rendre ma ville plus propre»
«Ce travail me comble de joie car il permet de rendre ma ville plus propre et d’aider la population, se réjouit Robert, orphelin de père. Lorsqu’il y a des commandes, on peut fabriquer plus de 300 pavés par jour que nous livrons aux particuliers.» Mais, peu connus du grand public, les commandes sont encore sporadiques.
Pour l’environnementaliste Lucien Yoppa, la gestion des déchets plastiques est un secteur prometteur. Le dynamisme des jeunes camerounais, sans emploi pour la plupart, devrait aider à le promouvoir auprès des pouvoirs publics grâce «à son caractère social et environnemental». «Les pavés plastiques pourraient être utilisés pour la construction et la réhabilitation des routes et des voiries. Ils viendraient ainsi en substitution aux pavés en ciment qui sont deux fois plus chers, ajoute-t-il. Les produits issus de ce recyclage ont un marché évident, que ce soit sur le plan international ou local.»
Trouver des clients et se mettre à son compte en tant que «fabriquant de pavés écolos» est le rêve que nourrit Elvis la nuit, lorsqu’il s’endort dans les rues de Yaoundé.
Par Josiane Kouagheu
A lire sur lemonde.fr (17/08/2016)
«Je l’ai même invitée à venir au laboratoire lui prouver que je n’étais pas entrer dans une secte comme elle le pensait», poursuit Robert, casquette vissée sur la tête et gants jaunes usés enfilés aux doigts. Ce jeudi, le «laboratoire», un hangar du quartier Essos de Yaoundé, couvert par des tôles ondulées et ouvert aux quatre vents, est en activité. Une cuve métallique chauffe sur un feu de bois. Des sacs d’emballages et des bouteilles en plastique sont posés à côté.
Moins de 61 microns
Avec une durée de dégradation estimée entre 500 et 1 000 ans, les déchets plastiques constituent selon des statistiques, 10 % des six millions de tonnes d’ordures produites chaque jour sur le territoire camerounais. Depuis avril 2014, le gouvernement a interdit la fabrication, l’importation, la commercialisation et l’utilisation des emballages plastiques non-biodégradables de moins de 61 microns sur l’ensemble du territoire national. Plusieurs centaines de tonnes ont ainsi été saisies depuis l’interdiction.
Malgré la mise en place des brigades opérationnelles chargées de saisir ces emballages non conformes et d’interpeller les fautifs, la contrebande alimente le marché noir. Sans plan de recyclage, le gouvernement peine à trouver des solutions. Cependant, quelques jeunes comme Robert tentent «de dépolluer leur environnement».
Au «laboratoire», le jeune homme a été rejoint par «son unique collègue qui est resté.» Elvis Kwambissa est un enfant de la rue qui «rêve de faire du recyclage des déchets plastiques, un vrai boulot». En un an, les deux jeunes hommes, venus en tant que stagiaires, avec une vingtaine d’autres, sont les seuls qui poursuivent l’aventure au sein de cette fabrique mise sur pied par la fondation «Cœur d’Afrique», de l’ancien international camerounais, Roger Milla, pour aider les jeunes défavorisés à apprendre un métier.
«C’est l’heure des bouteilles»
Dans une cuve chauffée à plus de 200 degrés et alimentée par un feu de bois, ils déversent des emballages plastiques. Armés de malaxeurs et protégés de l’odeur toxique par des cache-nez, ils remuent le mélange jusqu’à l’obtention d’une pâte homogène d’où émergent des flammes. «C’est l’heure des bouteilles», lance Robert, le visage dégoulinant de sueur. Docile, Elvis s’exécute. Et les bouteilles disparaissent dans les flammes.
Puis, Elvis court vers un autre hangar, plus petit que le «laboratoire», pour ramasser du sable qu’il tamise. Trois seaux de cinq litres sont versés dans la cuve. Une fois de plus, Elvis et Robert, suent à grosses gouttes et remuent. Quinze minutes plus tard, tout est prêt. Au fur et à mesure, la pâte est versée dans un moule qui donne progressivement leur forme aux pavés «écolos».
D’après des résultats du laboratoire du génie civil camerounais, ces pavés sont trois fois plus résistants que ceux qui sont faits à base de ciment : ils peuvent supporter jusqu’à 50,5 tonnes de charge. «Les autres ne supportent qu’entre six et douze tonnes, assure Pierre Kamsouloum, consultant formateur en technique de recyclage des déchets plastiques et directeur technique de la fondation Cœur d’Afrique, qui observe avec satisfaction le travail de ses protégés. Le prix du mètre cube de nos pavés, qui comprend entre 26 et 33 pavés, varie entre 4.000 et 4.500 FCFA [environ 6,5 euros] au lieu de 5.000 à 25.000 [jusqu’à 38 euros] comme les autres.»
«Rendre ma ville plus propre»
«Ce travail me comble de joie car il permet de rendre ma ville plus propre et d’aider la population, se réjouit Robert, orphelin de père. Lorsqu’il y a des commandes, on peut fabriquer plus de 300 pavés par jour que nous livrons aux particuliers.» Mais, peu connus du grand public, les commandes sont encore sporadiques.
Pour l’environnementaliste Lucien Yoppa, la gestion des déchets plastiques est un secteur prometteur. Le dynamisme des jeunes camerounais, sans emploi pour la plupart, devrait aider à le promouvoir auprès des pouvoirs publics grâce «à son caractère social et environnemental». «Les pavés plastiques pourraient être utilisés pour la construction et la réhabilitation des routes et des voiries. Ils viendraient ainsi en substitution aux pavés en ciment qui sont deux fois plus chers, ajoute-t-il. Les produits issus de ce recyclage ont un marché évident, que ce soit sur le plan international ou local.»
Trouver des clients et se mettre à son compte en tant que «fabriquant de pavés écolos» est le rêve que nourrit Elvis la nuit, lorsqu’il s’endort dans les rues de Yaoundé.
Par Josiane Kouagheu
A lire sur lemonde.fr (17/08/2016)