A Calais, le préfet condamné pour le démantèlement d’un camp de migrants
Le haut fonctionnaire a été reconnu coupable, mardi, de s’être affranchi de l’autorité judiciaire pour mener cette opération d’évacuation. Une décision qui remet en cause le cadre juridique de nombreuses expulsions, selon les plaignants.

Le préfet du Pas-de-Calais avait été assigné, en décembre 2020, par onze exilés et huit associations de défense des migrants – dont le Secours catholique et l’Auberge des migrants. Les requérants demandaient que soit jugée « illégale » l’évacuation menée le 29 septembre de la même année lors du démantèlement d’un campement de migrants à Calais.

Le préfet a été condamné pour s’être affranchi de l’autorité judiciaire sur la zone dite « du Virval », où campaient plus de 800 candidats au passage en Grande-Bretagne, une décision qui remet en cause le cadre juridique de nombreuses expulsions selon les plaignants. La préfecture, qui a quinze jours pour contester cet arrêt de la cour d’appel de Douai (Nord), n’a pas souhaité réagir à la décision.

Dans son arrêt du 24 mars, dont l’Agence France-Presse a obtenu copie, la cour condamne le préfet pour « voie de fait », lui reprochant d’avoir pris l’initiative de l’expulsion et temporairement privé de liberté les occupants du site, sans cadre juridique adéquat.

Cette décision met à mal l’utilisation récurrente par l’Etat pour procéder à des expulsions de campements migratoires sur le littoral Nord du cadre juridique de la « flagrance » – applicable lorsqu’un délit est constaté depuis moins de quarante-huit heures –, selon l’avocate des plaignants, Me Eve Thieffry. « Le juge confirme ce que disent les associations depuis des années : que le préfet n’a aucun pouvoir personnel à évacuation des personnes sur le littoral et à déplacement sous la contrainte », a-t-elle commenté. Cela « interdit le processus utilisé par la préfecture ».

Absence d’autorisation

Le préfet a assuré avoir agi sur décision du procureur, au lendemain de l’ouverture d’une enquête en « flagrance » sur la présence de 450 tentes. Le tribunal estime, au contraire, qu’il a agi de sa propre initiative, s’appuyant sur un tweet du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui disait son « soutien à la Préfecture 62 » pour l’opération.

Le communiqué préfectoral alors publié précisait aussi que les tentes étaient installées depuis « plusieurs semaines », tandis que l’importance des moyens mis en œuvre – dont trente bus – confirmait une organisation en amont. « Ces éléments viennent contredire l’hypothèse de la découverte de l’infraction la veille » de l’évacuation, souligne la cour. Or, « la préfecture du Pas-de-Calais n’a requis aucune autorisation du juge administratif, afin de procéder à l’évacuation », comme exigé pour une opération hors du cadre de la flagrance.

En outre, la préfecture a outrepassé ses prérogatives en privant temporairement de liberté les migrants escortés vers des bus, sous pression de la police, tranche la cour. La présence de nombreux fonctionnaires encerclant les exilés lors de cette évacuation, la plus importante de ce type depuis 2016, était « de nature à constituer une contrainte », relève-t-elle.

Les requérants ont demandé 5 000 euros de dommages pour chacun des exilés et 1 000 euros par association. Sauf recours de la préfecture, une audience doit trancher, le 23 mai, sur ces dommages. En première instance, le 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer s’était déclaré incompétent, la préfecture ayant requis la saisine du tribunal administratif. « Les témoignages produits ne permettent pas de conclure à l’emploi de la contrainte durant la phase de mise à l’abri », avait notamment jugé le tribunal.

Lire sur le site de Le Monde avec AFP  29 mars 2022