« Un autre fromage est possible » : près de Lyon, une coopérative paysanne d’un nouveau genre
Au creux des monts du Lyonnais, en Auvergne-Rhône-Alpes, quatre fermes laitières bio ont mutualisé leurs forces pour fonder une fromagerie collective. Leur objectif, se réapproprier leurs circuits d’alimentation. Avec un maître-mot : relocaliser.

Monts du Lyonnais (Auvergne-Rhône-Alpes), reportage

Trois mugs de café et un pot de sucre en équilibre précaire dans les bras, Adrien Mazet louvoie entre son tracteur vert pomme, les vaches et les mottes de terre. Les cheveux en bataille, en short usé et godillots crottés, ce grand barbu de 34 ans a commencé sa journée tôt. Le café matinal dans la grange, sous le regard placide de ses vaches, constitue une pause bien méritée. Souriant, le fermier balaie du regard les collines environnantes, où des troupeaux de bovins se reposent à l’ombre des bosquets, bercés par le glougloutement de La Gimond (Loire). La ferme d’Adrien, le Val Fleury, jouit d’un emplacement de choix, au cœur des monts du Lyonnais, à quelques kilomètres de Chazelles-sur-Lyon.

D’une voix lente, le producteur de lait partage sa vision du métier. « La transformation permet de maîtriser son produit et son prix, d’être en contact avec le consommateur et de créer de l’emploi. Il y a aussi une forme de reconnaissance, quand une petite mamie me dit que mes yaourts ont le goût de ceux de son enfance. » Car Adrien transforme la moitié de sa production en yaourts, l’autre part pour AlterMonts, une fromagerie collective qu’il a créée avec trois autres fermes autour des valeurs du bio, de l’agriculture paysanne et du partage avec les clients.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Avant de se lancer dans cette belle aventure, les citernes de Biolait collectaient l’intégralité de son lait, une collaboration qui laissait un goût amer au paysan. « Biolait revend le lait à tous les industriels qui ont une gamme bio, dans toute la France. Cette filière bio est de moins en moins crédible. À quoi ça sert de produire un lait de qualité si c’est pour qu’il soit réduit en poudre dans l’Est ou en Chine ? interroge l’éleveur. Pour moi, faire du bio, c’est relocaliser, créer de l’emploi et arrêter de saccager la planète. »

Relocaliser pour garder les valeurs du lait bio

D’autant que l’essor fulgurant de la production, mais aussi de la demande en lait bio, a attisé l’appétit des gros opérateurs, tels Bel et Elle & Vire, qui ont investi ce marché. « La production de lait de vache bio a presque doublé en six ans : nous avons passé le cap symbolique de 1,1 milliard de litres en 2020, alors que nous n’étions qu’à une centaine de millions de litres il y a dix ans, dit Benoît Baron, chef de projet études économiques à l’Institut de l’élevage (Idele). En 2013, il y avait environ 2 000 livreurs de lait bio sur les 67 000 livreurs nationaux. En 2020, ils étaient 4 000 pour moins de 50 000 conventionnels. » Une orientation qui pourrait faire perdre au secteur ses valeurs, selon l’éleveur, de quoi notamment pousser ce dernier vers la trajectoire d’AlterMonts.

« Il y a une tendance de fond vers le bio, mais le bio actuel ne nous plaît pas. Sur notre logo, nous précisons qu’il s’agit d’une agriculture "biologique et paysanne", dit Adrien en insistant sur le dernier terme. C’est pour cela qu’on veut être sur du local, que les gens puissent mettre une bouille sur leurs fromages. » Sans parler des considérations purement économiques. Si Biolait paie 450 euros les 1 000 litres à Adrien, la fourchette de prix idéale se situerait selon lui entre 500 et 600 euros.

    « La relocalisation de l’économie, c’est un pied de nez à la mondialisation. »

Pour reprendre pleinement la main sur le devenir de son lait, le fermier en est arrivé à la conclusion qu’il n’existe qu’une solution : la relocalisation. « La relocalisation de l’économie, c’est recréer de la richesse sur le territoire en valorisant votre produit jusqu’au bout, c’est un pied de nez à la mondialisation », soutient Matthieu Gloria, associé d’Adrien sur la ferme du Val Fleury et emballé par l’idée.

Une union entre quatre fermiers

L’idée a germé doucement : pourquoi ne pas créer une fromagerie coopérative ici même, dans les monts du Lyonnais, et permettre aux agriculteurs de transformer eux-mêmes leur lait ? En 2015, Adrien en a parlé à Gilbert Besson, fermier laitier à Saint-Galmier, à quelques kilomètres de là. Les deux compères se sont alors mis à la recherche d’un troisième et d’un quatrième larron : ce furent Claude Villemagne, du Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) de la Brumagne, à Chazelles-sur-Lyon, et Jérôme Barange, de la ferme des Deux Hélices, à Duerne. Prudents, les quatre fermiers se sont d’abord renseignés sur les expériences similaires.

À Lyon, par exemple, l’association la Laiterie des monts, qui regroupe plusieurs fermes également situées dans les monts du Lyonnais, voulait implanter une dizaine de distributeurs automatiques de lait cru dans la métropole lyonnaise. Dix ans plus tard, seul l’un d’entre eux reste en service, à Villeurbanne. Le sort des deux autres, vandalisés à plusieurs reprises, a mis le projet « en stand-by », indique l’association...

Par Oriane Mollaret et Moran Kerinec (publié le 10/04/2021)
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