« Même dans des cas désespérés, on peut gagner » : des jardins populaires sauvés à Rouen
Les défenseurs des Jardins joyeux à Rouen sont parvenus à sauver une partie de ce paradis de verdure. Le patrimoine bâti, lui, sera conservé dans le projet immobilier. De quoi réjouir les collectifs en lutte contre l’artificialisation des jardins populaires.

Rouen (Seine-Maritime), reportage

« C’est ici qu’il y a plus d’un an et trois mois, les solides plaques en bois qui fermaient les entrées de cet ancien cloître cédaient sous la pression populaire. » Le long du mur d’enceinte du foyer Sainte-Marie, rue Joyeuse à Rouen, Jacky, un arbre en papier cartonné, se fait le porte-parole du collectif des Jardins joyeux pour l’occasion.

La manifestation contre l’artificialisation des terres, réunissant près de 400 personnes, samedi 17 septembre à Rouen, a été l’occasion de fêter leur victoire après des mois de lutte intense, d’espoirs et de déceptions. En juin dernier, Jacky déplorait la perte de huit de ses congénères, des tilleuls abattus en pleine canicule par des machines de chantier, roulant allégrement sur le potager, abandonné depuis l’expulsion des militants en janvier. Contraints de quitter ce jardin du XVIIe siècle devenu un lieu d’émulation collective, ponctuée de conférences, expositions, concerts, ateliers, soirées… La bataille semblait presque perdue, mais la mobilisation n’a pas faibli.

« Les Jardins joyeux vivront ! »

Leur mobilisation sans relâche a fini par payer. « Sedelka, laisse béton, les Jardins joyeux vivront ! » scandent les manifestants, en référence au nom du promoteur Sedelka, qui a lancé un projet de résidence de standing sur le site. Les défenseurs des jardins sont parvenus à sauver la partie nord de ce paradis de verdure. La partie préservée des Jardins joyeux deviendra un parc public et un jardin partagé sous la gestion du collectif. Les militants ont également l’espoir de récupérer la chapelle de l’ancien foyer, enclavée au milieu du projet immobilier.

Une victoire en demi-teinte, car le patrimoine bâti, lui, sera largement conservé dans les plans d’aménagement immobilier. Les jardins échappent au béton, mais ils ont été partiellement détruits, et le projet amendé implique tout de même la destruction d’un bâtiment en pan de bois abritant un théâtre de poche, ainsi que la transformation du bâtiment central, en pierre de taille, et quelques dépendances en briques.

Malgré tout, « il vaut mieux récupérer une terre nue que rien du tout », réagit Lilo, présente depuis le début de l’occupation du site. « On nous disait que ça ne servait à rien de se battre, puisqu’ils avaient obtenu le permis de construire, se souvient-elle. Alors certes, on ne récupèrera pas ce qui a déjà été détruit, la victoire est un peu amère. Mais on se félicite, car c’est un signal que même dans des situations qui paraissent désespérées, on peut gagner, même partiellement. »

Une bouffée d’air frais pour les représentants d’autres luttes pour des jardins populaires, membres d’une coalition nationale récemment constituée et présents à la manifestation. « Ça prouve qu’on peut gagner quand on se bat », se réjouissent Dolores de l’association Sauvons les Jardins ouvriers d’Aubervilliers et Maxime de l’association Sauvons l’îlot Pêche d’or — Bergerie des Malassis à Bagnolet. « Ça crée un précédent et cela nous encourage à porter la création d’un jardin partagé », dit Benjamin, du Collectif 40, opposé à un autre projet immobilier à Rouen.

La stratégie victorieuse du collectif des Jardins joyeux inspire. Ils se sont démenés sur le plan juridique : un recours gracieux adressé à la Ville pour contester le permis de construire, un répertoire des espèces protégées, des plaintes au pénal pour violation du Code de l’environnement, une saisine de l’Office français de la biodiversité… Le tout accompagné d’une communication très active, « beaucoup de ramdam pour ne pas passer sous les radars », dit Deli, membre du collectif et riverain du lieu.

Sauver le reste

Portant l’idée d’une « écologie populaire », ils sont parvenus à mobiliser un grand nombre d’acteurs de tous horizons. D’abord avec l’accueil de personnes en difficulté, sans domicile ou réfugiées, puis en ralliant à leur cause les riverains, les groupes de défense de l’environnement comme Les Amis de la Terre Rouen ou Extinction Rebellion, d’autres collectifs locaux comme Les bouillons terres d’avenir, ou encore une association de préservation du patrimoine, La Boise de Saint-Nicaise.

À force d’interpellations, ils ont aussi obtenu le soutien des élus de la Ville. À l’heure d’une volonté politique affichée de renaturation de l’urbain pour l’adapter au changement climatique, « on leur a dit “chiche” : ici on peut commencer par préserver l’existant », un écrin de fraîcheur au sol fertile. Deux élus ont répondu présents dans la rue, samedi. « Sedelka accepte de nous rétrocéder la partie occupée par les jardins, annonce Jean-Michel Bérégovoy, adjoint au maire Europe Écologie-Les Verts (EELV), sous les clameurs des manifestants. En contrepartie, ils pourront voir s’il y a des possibilités dans d’autres secteurs de Rouen. »

En attendant, ils n’ont qu’une hâte, semer à nouveau les graines du potager et revoir s’épanouir potirons et courgettes. « On demande qu’à l’automne 2022, on puisse récupérer la partie haute des jardins, si ce n’est l’ensemble de la zone qui nous est promise pour amender la terre et avoir une première récolte au printemps 2022. »

Publié le 19/09/2022
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